Crédit Photo:© André Mamou
Chez Théo, de son vrai prénom Théodore Chiche, alias « El-Otri » (‘ »العطري », en arabe), pour être précis, ou encore « Tudor » comme se complaisent à l’appeler certains Nabeuliens, l’échoppe ne paie pas de mine, mais le sandwich tunisien est tout simplement, succulent pour ne pas dire parfait.
Il ne faut pas plus de cinq petites tables placées de part et d’autre d’un couloir, d’un frigo ménager formant le seul équipement électrique de la gargote, d’une petite cuisine en arrière-boutique et d’une vitrine neutre pour satisfaire une clientèle exigeante et qui a surtout, pris habitude de manger salé le matin. Pour réussir un bon sandwich, il ne faut pas de beaucoup choses. Il suffit, plutôt, d’un peu de doigté. Et ça, Théodore l’a bien compris.
Pendant que le jeune Lounifi, son aide de toujours, s’attelle à préparer, au fur et à mesure des besoins, les composants du sandwich, le brave Théodore se met à l’œuvre pour le plaisir des yeux avant que ce ne soit des papilles des clients qui attendent leurs tours au seuil de la porte : d’un léger mais assez bien appuyé coup de couteau, il fendille sur le côté, un petit pain viennois qu’il ouvre ensuite et commence à le farcir.
Tout le secret de la réussite est là : il faut la juste dose quand il est question d’étendre un lit de purée de poivrons grillés, d’ajouter une cuillerée de salade de tomates et de concombres coupés en dés, de placer des variantes, de petits morceaux de pomme de terre cuite à l’eau et des olives vertes toujours luisantes et enfin, de parsemer le tout de quelques câpres et de thon émietté avec une dextérité dont lui seul a le secret. La dernière touche du maître est réservée à une cuillerée de harissa savamment, diluée à l’eau et à un mince filet d’huile d’olive. Si c’est à consommer sur place, le chaland devra guetter un autre sur le point de se lever pour sauter sur l’aubaine qu’offre la chaise devenue, subitement, vacante et si c’est à emporter, c’est toujours un plaisir d’admirer la subtilité du geste de Théodore arrachant un papier blanc à la pile accrochée à un esse suspendu à portée de sa main et emballant la « précieuse » collation qui aussi prisée soit-elle, demeure accessible à toutes les bourses puisqu’elle se présente, également, en petit format sous forme de ½ casse-croûte. C’est tout simplement, un sandwich réduit de moitié et vendu à moitié prix.
Mais le matin, il n’y a pas que des amateurs de casse-croûte. Le plat tunisien a, aussi, ses adeptes. Il s’agit d’un sandwich au plat avec en son milieu un œuf poché que les plus habiles des cuisinières ont du mal à réussir. Ceci est pour l’été. Durant la saison froide, il faudra, également, compter avec le bol de « lablabi » bien chaud pour entamer la journée. Il s’agit d’un potage de pois chiches bouillis relevé à la harissa et parfumé au cumin et à l’huile d’olive. Cependant, il y a le plus de Théodore qui consiste en une demi-louche de « bissara » ajoutée au bol de « lablabi » afin d’en rendre le jus plus onctueux. La « bissara » est un potage de févettes cassées que les juifs prennent l’habitude de consommer en fin de soirée, après qu’ils aient levé un peu trop le coude, pour parer à une éventuelle gueule de bois, le lendemain matin.
Si le matin, on prend d’assaut la gargote de Théodore pour un « petit-dej » salé, l’après-midi, on y retourne, plutôt, pour couper la faim avec une « bricka » à l’œuf. La grande poêle à frire remplace ainsi, la marmite de « lablabi » sur le foyer du grand Primus à pétrole placé à l’entrée du local afin que la fumée se dégageant de la friture puisse se répandre à l’extérieur.
Chez Théodore, il n’y a pas de « bricks » toutes prêtes. La préparation d’une « bricka » est instantanée. Dès que le client s’installe, Théodore le gratifie d’une petite assiette de harissa en guise d’amuse-bouche et se met à confectionner la « bricka ». Le feuillet est extrafin et le bain d’huile clair et limpide est constamment, régénéré et écumé. Pour la farce, une pincée d’oignons, finement, hachés, deux ou trois petites câpres, pas plus, l’œuf bien entendu, et le tour est joué. Au final, une « bricka » croustillante, légère et facile à digérer.
« Son concurrent sur la place s’appelait Momou. Chez Théo, c’était ‘bessaf’ (la queue) et chez Momou, c’était le désert ! », se souvient Fradji Guez, un franco-tunisien de confession juive et dont le père était cordonnier à Souk El-Belgha (le marché des babouches) à Nabeul.
Une anecdote à ce propos, toujours, selon notre ami Fradji, Momou se plaignait de ne pas avoir beaucoup de clients. Et il expliquait à qui voulait bien l’entendre qu’ils avaient le même fournisseur de feuilles de « bricks » et utilisaient la même huile. Bref tous les ingrédients étaient de la même qualité et pourtant les clients se pressaient chez Théo.
« En fait les mauvaises langues disaient que Momou ne chauffait pas sa grande poêle à frire d’huile à la bonne température pour économiser quelques sous. D’où les « bricks » n’étaient pas ‘mgarmchin’ (croustillants) comme ceux de Théo. », rajoute Fradji.
En plus de sa générosité, le gargotier savait, également, tisser des rapports souples avec sa clientèle : il admettait, en effet, qu’un client friand des œufs de ferme dits « arbi », puisse ramèner avec lui son œuf pour ne payer in fine, que le feuillet, le reste de la farce et la friture.
Depuis que Théodore, à qui l’écrivain nabeulien Marco Koskas a rendu le plus beau des hommages dans son roman « J’ai pas fermé l’œil de l’été » paru en 1996, aux éditions Julliard, soit décédé en avril 1990 dans son Nabeul natal et enterré en France auprès de ses proches, tout ce qu’il réussissait de bon est resté un souvenir doux et lointain et surtout un objet de désir impossible à assouvir pour les nostalgiques d’une époque à jamais révolue.
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Oui c’est vrai chez Théodore c est un plaisir a partage un tres bon plat tunisien et le sandwitch vraiment un régal et n’oublie pas la brika un vrai désir. Je suis une Nabeulienne et j’ai eu la chance de manger chez lui et de plus il est notre voisin son locale est tout près de la maison de mes grands parents.
Bonjour Amel,
j’ai quitté Nabeul pour la FRANCE, il y a quelques années et je vois que Théo existe toujours ou peut être pas mais les souvenirs et la nostalgie restent toujours bien présents et bien ancrés dans la mémoire…
Si tu veux que nous correspondions ensemble pour mettre sur papier nos souvenirs et faire paraître un livre de photos d’antan et de textes les accompagnant, je suis partant.
Voici mes coordonnées: [email protected]
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Je me souviens tres bien que durant le milieu des annees 80, le fameux demi casse-croute de Theo etait a 250 millimes et le normal a 400 millimes. Un gout unique…