Crédit Photo: Les archives nationales – archives.nat.tn
Comment évoquer le Marché central de Tunis? Bien sûr, il est aisé de se référer à l’histoire et nous sommes nombreux à le savoir: le Marché central de Tunis est né en 1891 et porte aussi le nom de « Fondouk el Ghalla » (orthographié en arabe: « فندق الغلة », qui signifie en français, l’hôtel des fruits).
L’on peut aussi revenir aux textes anciens qui, par exemple, racontent comment la vie européenne et tunisienne se rencontrent dans les clameurs des marchands des quatre saisons, les vitrines des fromageries et les étals des bouchers.
Georges Duhamel racontait ainsi les brochettes de foie grillé ou les montagnes de confiseries ruisselantes d’huile. Guy de Maupassant parlait d’une odeur d’encens et d’aromates. D’autres pêle-mêle, les portefaix ployant sous leur charge, les visiteurs d’un jour émerveillés par les couleurs éblouissantes, l’exubérance des couleurs des fruits et légumes ou la presse avant l’heure de fermeture.
Chacun son regard! Ainsi en est-il de cette charade qui voudrait qu’il existe une île au coeur de Tunis qu’entourent Allemagne, Espagne, Danemark et Italie. De fait, le Marché central se trouve dans le réseau des rues qui portent ces noms et chacune de ses portes pourrait évoquer une Europe toujours proche, jamais lointaine.
Porte d’Allemagne, on entre au marché des poissonniers qui ne désemplit pas et se décline entre les étals qui regorgent de mérous, espadons, mulets, rougets et autres poulpes et calamars.
Avec ses marchands qui n’hésitent pas à chanter pour vanter la marée, on rencontre ici des métiers improbables comme décortiqueurs de crevettes ou nettoyeur de poissons frais. On y retrouve aussi les poissons séchés ou salés dans une débauche de mendoles, anchois et boutargues.
Porte d’Espagne, on accède aux boucheries et on se laisse imprégner par les réminiscences du temps jadis lorsque les patrons maltais vendaient la viande chevaline et les charcutiers se trouvaient à l’autre bout de l’allée. Aujourd’hui, la tradition se maintient et les boucheries les plus réputées se trouvent dans ces méandres que seuls connaissent les initiés.
Porte du Danemark, on entre dans le Ventre de Tunis après avoir admiré les guirlandes de figues sèches et des dizaines de variétés de dattes. D’ici, on est projeté dans le labyrinthe central comme un Thésée à la recherche de son Ariane.
Multicolores, empilés, savamment présentés, les légumes débordent de toutes parts. La profusion de couleurs et leur parfum de terre font souvent songer aux toiles des impressionnistes. On se croirait dans le rêve d’un Monet au coeur du potager…
Porte d’Italie, c’est autre chose qui vous attend! Car cette rue d’Italie n’existe plus et a cédé son nom au grand Charles de Gaulle. Ici, vous êtes enveloppés par le tumulte du marché, ses incroyables assortiments d’olives, ses fromages qui fleurent bon leCarré de Mateur, la ricotta et toutes les Siciles de Tunisie.
Ici, vous êtes littéralement emportés par la foule qui déambule entre nostalgie des raviolis, majesté du miel et ésotérisme des épices. Ici subsiste le souvenir des Giacalone,Mongelliet tant d’autres.
Seuls des noms et des images qui s’estompent sont restés. Je me souviens ainsi des charcuteries Baldacchino et Camilleri ou des boucheries Bartolo et Mangani. Je me souviens aussi des maîtres tunisiens ès fruits à l’image de Mahmoud Chargui ou Khelifa Belhouaichat. Je me souviens encore de l’épicerie Loret ou des boissons Licari qui se trouvaient autour du marché comme des dizaines d’estaminets et de brasseries aujourd’hui disparues.
Mais à quoi bon remuer les souvenirs lorsque le bonheur est toujours présent! Au Marché central, deux halles à charpente de bois et mille issues donnent accès à une île à ciel ouvert où se négocient la fraîcheur de ce qui vient d’être cueilli et le secret des terroirs. Au Marché central, l’architecture est peut-être coloniale mais les produits rarement venus de loin: agrumes du Cap Bon, salades de Bizerte et produits de toutes les fermes du pays.
Les lieux se souviennent encore de l’époque où le marché de gros était installé ici avant de déménager à Moncef Bey puis à Bir el Kassaa. Réhabilité au début du nouveau siècle, le Marché central garde sa patine et ses repères immuables. De quoi vous donner le vertige, lorsqu’on sait que 350 stands vous proposent leurs marchandises aux côtés de 86 boutiques, 113 poissonniers et 18 fleuristes répartis dans un vaste quadrilatère de 12.000 mètres carrés.
À chaque saison ses rituels et à chaque visiteur son parcours… Pour ma part, je ne manque jamais de visiter Hamza Ayari, amateur de la photographie, et ses citrons jaune vif avant de remonter l’allée centrale du marché. Pour rien au monde, je ne manquerai une inspection minutieuse, cordiale et gourmande des épices du magasin Majoul. Et puis, comme toujours, une ronde presque complète, lente déambulation dans des corridors de parfums et des allées de tous les sens en éveil.
Les plus pressés finissent au grill du coin et les plus stoïques résisteront devant cette déferlante en attendant le retour aux pénates. Etonnant Marché central, lieu inépuisable, toujours renouvelé, renaissant chaque jour. Lieu infini par excellence, il ne livre jamais tous ses secrets et en tous cas, sait se métamorphoser à chaque nouvelle saison.
De Nabeul à Bizerte, de Sousse à Sfax, partout dans le monde, je me laisse souvent aller à la poésie des marchés et j’en reviens toujours triomphant comme un Ulysse au coeur d’une Odyssée des saveurs. Dès lors, notre Marché central tunisois, c’est un peu mon Ithaque, ma madeleine de Proust et mon tremplin gourmet pour le rêve, les terroirs et les bonnes tables…
Hatem BOURIAL
Hatem BOURIAL est un écrivain tunisien, journaliste et médiateur culturel. Il est également auteur de 14 ouvrages sur la mémoire et le patrimoine tunisiens.
Bonjour..
Merci pour ce beau voyage, merci d’avoir pris le temps de nous faire revivre et rêver de ces beaux moments moi-même natif de Tunis et l’anecdote c’est que Monsieur Baldacchino boucherie charcuterie était mon grand-père
Un grand merci du fond du cœur
Mon cher ami,
Tu ma fais revivre ma jeunesse. À 77 ans, je revois ce marché comme si c’était, hier. Avec mon papa, nous allions en face du marché boire une gazouza. Et merci!
Pingback: Tourisme | Grand-Tunis : à quand un "parcours de la gastronomie"?
Pingback: Marché central de Tunis | Au Bon Goût, le plat tunisien est impérial !
Bonjour..
Merci pour ce beau voyage, merci d’avoir pris le temps de nous faire revivre et rêver de ces beaux moments moi-même natif de Tunis et l’anecdote c’est que Monsieur Baldacchino boucherie charcuterie était mon grand-père
Un grand merci du fond du cœur
superbe notre marché central et ton beau texte aussi Hatem qui nous ouvre les papilles et nous fait rêver !!!
lol
Mon cher ami,
Tu ma fais revivre ma jeunesse. À 77 ans, je revois ce marché comme si c’était, hier. Avec mon papa, nous allions en face du marché boire une gazouza. Et merci!
Peut être un des plus beau après celui de Barcelone