Par Karyn NISHIMURA-POUPEE – © AFP – Kazuhiro NOGI
Pendant des décennies, le coeur de Tokyo a vibré au rythme du gigantesque marché de Tsukiji à Tokyo mais samedi toutes ses activités seront transférées sur le lieu dit Toyosu, plus moderne mais moins pittoresque. La fin d’une époque.
Tsukiji, c’est une histoire qui a débuté le 10 février 1935, par l’inauguration d’une première tranche de ce qui allait devenir après-guerre le plus grand marché aux produits de la mer et primeurs du monde.
Après des années de débats et péripéties, et malgré l’opposition de nombreux poissonniers et clients, le déménagement aura bien lieu: fermeture de Tsukiji le 6 octobre, ouverture de Toyosu le 11.
A un marché de Tsukiji ouvert à tous les vents et aux touristes (en partie), aux bâtiments défraîchis, où tout est vieux et parfois insalubre, succédera un marché de Toyosu fermé, aux murs blancs impeccables et grands rideaux automatiques, avec des normes sanitaires sévères, où les visiteurs pourront voir les marchands depuis une galerie mais pas les approcher.
– Enchères uniques –
« Ce sera néanmoins un peu moins strict que je ne le craignais, mais évidemment on aura moins de possibilité de toucher la marchandise », témoigne le chef français Lionel Beccat, inconditionnel de Tsukiji, où il vient à pied depuis son restaurant étoilé.
« Toyosu est plus loin, plus difficile d’accès »: de nombreux poissonniers regrettent la perte de proximité et craignent que les commandes se fassent plus par e-mail et téléphone que de visu, alors que la relation humaine était l’essence même de Tsukiji.
Tous ne partiront pas à Toyosu. Les plus âgés, et ils sont nombreux, quittent le métier. Certains avaient le projet de recréer un mini-Tsukiji dans des bâtiments voisins après le déménagement, « mais on le leur a interdit », confie un des commerçants, préférant rester anonyme.
Mais c’est aussi une question de générations: les plus jeunes se montrent plutôt enthousiastes, prêts à repartir de zéro à Toyosu.
Comme l’a répété à maintes reprises la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, « la marque Tsukiji est mondialement connue ».
Près de 500 variétés de poissons y sont vendues quotidiennement, mais ce sont surtout les ventes aux enchères de thon qui ont fait la renommée des lieux.
Non seulement parce qu’elles sont un spectacle unique où l’on chante presque et où les professionnels aguerris enchérissent par gestes, mais aussi parce que lors des premières criées du Nouvel an des spécimens s’y sont arrachés à des prix phénoménaux.
– Parc à thème gastronomique –
Fraîchement élue, en 2016, Mme Koike avait remis en cause le dossier à cause de problèmes de pollution du sol à Toyosu, où se trouvait avant une usine à gaz, pour évaluer l’hypothèse de reconstruire Tsukiji à Tsukiji.
Mais elle a finalement tranché pour Toyosu, en prenant aussi en compte les conséquences d’un nouveau retard sur d’autres travaux, en l’occurrence ceux des voies passant via Tsukiji pour l’accès aux installations des jeux Olympiques de 2020.
Pour consoler les inconditionnels de Tsukiji, elle a émis l’hypothèse de bâtir par la suite une sorte de parc à thème gastronomique, où des poissonniers auraient leur place pour la vente au détail.
En attendant, il n’y aura que Toyosu et Mme Koike a promis de « rester à l’écoute » des commerçants en cas d’éventuels problèmes.
D’ici là, nombre de Japonais et étrangers font une dernière visite à Tsukiji.
« On est venu une dernière fois pour déjeuner dans un restaurant à l’intérieur du marché, mais il y a trop de monde, il y a la queue partout », confie une septuagénaire accompagnée de deux amies.
« Circulez, ne vous arrêtez pas, pas de photos, vous gênez, allez, allez », crie de son côté un agent de surveillance dans les allées à des touristes, souvent étrangers, autorisés à entrer sur le marché de gros à l’heure où les boutiques ferment en fin de matinée. « On n’y peut rien, c’est Tsukiji », sourit-il.
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