Par Isabel MALSANG – Crédit photo: Crédit photo: François GUILLOT / © AFP
Défilés de robes en chocolat ou démonstrations virtuoses de chefs étoilés, le salon du chocolat ouvre mercredi à Paris sous les paillettes pour le bonheur des gourmands, mais dans un contexte de bras de fer exceptionnel entre les producteurs de cacao et les industriels.
Parrainé par Dominique Ouattara, l’épouse du président de Côte d’Ivoire, premier pays producteur de cacao du monde, le salon, qui a contribué à starifier une génération de maîtres-chocolatiers et pâtissiers français, s’adresse d’abord aux amateurs de chocolat et « chocoholics » de tous âges.
Vitrine du « luxe accessible » depuis sa première édition à Paris en 1995, le salon, décliné dans de nombreux autres pays, a tenté de servir de trait d’union entre la gourmandise des consommateurs occidentaux et les petits planteurs, dont beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté de 1,20 dollar par jour, selon les chiffres de la Banque Mondiale.
« Cette année, nous avons voulu mettre l’accent sur l’importance des pays producteurs de cacao qui seront tous présents, de la Côte d’Ivoire à l’Indonésie en passant par le Ghana ou l’Amérique du sud », a indiqué à l’AFP Sylvie Douce, fondatrice et organisatrice du salon. « Le salon, c’est plutôt la réjouissance, mais le fait d’inviter Mme Ouattara est symbolique, cela veut dire que les pays producteurs veulent exister et nous voulons montrer leur importance. »
Mercredi soir, ont ainsi été récompensés les 20 meilleurs producteurs de l’année sélectionnés par un jury professionnel sur plus de 200 candidats: trois Africains, deux Malgaches, six asiatiques, cinq venus d’Amérique centrale et des Caraïbes, et quatre latino-américains, dont un Vénézuélien, une jeune société bolivienne qui travaille les fèves sauvages et la Fédération nationale du cacao colombien ont chacun reçu un « International Cocoa Award » décerné par le salon, allié au centre de recherche Cirad et à l’ONG Biodiversity international.
Le salon ouvre cette année dans un contexte exceptionnel de confrontation entre les deux premiers producteurs, la Côte d’Ivoire et le Ghana, qui représentent 60% de la production mondiale de cacao, et les négociants de cacao et industriels mondiaux du chocolat, qui avaient tendance à garder la valeur ajoutée pour eux.
En juin, ces deux pays ont suspendu plusieurs semaines la vente des récoltes 2020/21 pour tenter d’imposer aux marchés et aux multinationales un prix minimum plus rémunérateur et moins lié à la volatilité des cours, qui ne soit pas en-deçà de 2.600 dollars la tonne.
– « Un moment important » –
Après des semaines de pression, de nombreux géants du secteur, dont les groupes suisses Barry Callebaut et Nestlé, ont accepté de payer un différentiel de revenu décent (DRD, nom donné à un mécanisme de soutien aux planteurs), à la suite d’annonces faites lors d’une réunion de la Fondation mondiale du cacao (forum qui réunit les multinationales) à Berlin la semaine dernière.
« Malgré cette hausse du prix plancher, les prix restent encore trop bas pour avoir un niveau de vie convenable en Côte d’Ivoire », relativise Fatah Sadaoui de l’ONG SumOfUs, qui soutient les petits producteurs.
Cette ONG s’est félicitée d’avoir obtenu aussi le ralliement du négociant français Sucre et Denrées (SucDen) au principe de meilleure rémunération proposé par la Côte d’Ivoire et le Ghana. SucDen n’a pas confirmé l’information à l’AFP.
En Amérique Latine, où le cacao est en général acheté un petit peu plus cher qu’en Afrique, l’initiative ouest-africaine est regardée avec beaucoup d’intérêt par les producteurs.
« Ce qui est en train de se passer est très intéressant, et constitue un moment important, car il s’agit d’une tentative de rééquilibrage du pouvoir dans la filière » cacao mondiale, analyse Abel Fernandez, producteur de cacao en République Dominicaine et dirigeant d’une coopérative en commerce équitable Fair Trade-Max Havelaar.
« En moyenne, en Afrique de l’ouest, les producteurs de cacao reçoivent seulement 60% du prix de base d’exportation car les Etats appliquent une imposition élevée, alors qu’en Amérique latine, ils reçoivent de 80% à 85% du prix d’exportation », déclare ce responsable à l’AFP. « Mais nous regardons quand même de très près ce qui est en train de se développer dans les semaines et mois à venir en Afrique de l’ouest, car cela peut nous amener à questionner les acheteurs pour obtenir nous aussi des prix plus élevés » a-t-il ajouté.
« La voix des fermiers doit être entendue dans le monde entier, sinon les traders arrêteraient d’acheter en Côte d’Ivoire et au Ghana », ajoute Fatah Sadaoui.
« Chez nous, les fèves de cacao sont payées seulement 2.400 dollars la tonne » s’étonne Ondina Dubon, planteuse qui exploite un hectare au Honduras, un des « berceaux » du chocolat hérité des Mayas.
Du coup, elle s’est décidée il y a 10 ans à se lancer elle aussi dans la fabrication, et elle expose fièrement pour la première fois ses tablettes de chocola-K au salon parisien.
Pour son fils Alfredo Jarquin, « en France, on a une reconnaissance qu’on n’a pas dans notre pays ». « Sans eux, les producteurs, nous mourons » lui répond comme en écho le maître-chocolatier français Stéphane Bonnat, dont la famille travaille avec certaines familles de producteurs au Venezuela ou en Equateur depuis plus de 150 ans.