Par Claudine RENAUD – Crédit photo: Valery HACHE – © 2019 AFP
Au Mirazur de Menton, sérieux prétendant au titre de meilleur restaurant du monde, on ne choisit pas son menu: à chaque jour sa création. Le chef argentin Mauro Colagreco y sert la pêche et les produits du jour au gré des arrivages et de son inventivité sans frontière.
La mozzarella est blanche ? Vous la dégusterez noire, sous forme d’une bille enrobée de charbon végétal. La betterave, très peu pour vous? Elle est la reine du potager de Mauro Colagreco et son plat signature, cuite en croûte de sel, après deux saisons passées en terre, émincée en carpaccio et nappée de caviar.
Sacré d’une troisième étoile en janvier par le guide Michelin, qui a fait de son établissement le premier triple étoilé de France tenu par un chef étranger, ce maître de la cuisine d’auteur, âgé de 42 ans, fait office de candidat sérieux pour figurer en tête de la sélection des « World’s 50 Best », qui édite un classement des 50 meilleurs restaurants du globe. Verdict en juin pour la prochaine édition.
Natif de La Plata au physique de rugbyman, polyglotte et capable de créer 250 à 300 plats par an, Mauro Colagreco a tout d’un iconoclaste, jouant avec les contraires, mer et montagne, luxe et simplicité.
Le service, après les trompe-l’oeil de l’apéritif comme le gressin de salsifis, commence par un « pain du partage ». Souvenir de sa grand-mère qui avait appris à cuisiner de fabuleux raviolis pour son mari italien et donnait du pain à ses petits-enfants pour les faire patienter avant le déjeuner.
Du pain servi comme un plat à part entière dans un restaurant de luxe? Une volonté de bousculer les codes dans un trois étoiles où le repas peut coûter jusqu’à 260 euros sans les vins.
– Loiseau, Passard et Ducasse –
« Les frontières et les traditions sont importantes mais elles ne doivent pas être des barrières », prêche Mauro Colagreco qui a ouvert son restaurant-rotonde en 2006, accroché entre ciel et mer à 30 mètres de l’Italie, et obtenu une première étoile au Michelin dès 2007.
Depuis sa deuxième étoile en 2012, le Mirazur est une destination courue, même en basse saison, mais les débuts ont été durs, avec des services sans un seul convive.
Formé à l’école des plus grands – auprès de Bernard Loiseau jusqu’à son suicide en 2003, d’Alain Passard à L’Arpège, puis d’Alain Ducasse au Plaza Athénée – Mauro Colagreco est arrivé à Menton par hasard.
« Le propriétaire du lieu était le parfait stéréotype de l’Anglais sur la Côte d’Azur, costume de lin blanc et chapeau panama. Il a vu que je n’avais pas d’argent mais il voulait savoir ce que faisait un Argentin à Menton. Je lui ai raconté mon histoire et il m’a loué le restaurant pour une somme ridicule », se souvient-il.
Partir de zéro sur la Côte d’Azur « m’a donné beaucoup de liberté ». « J’ai pu interpréter le lieu à ma manière, comme un enfant ».
– « Garder les pieds sur terre » –
Aujourd’hui encore, il échappe à la pression des grands temples de la gastronomie et de Paris et reste soucieux de « garder les pieds sur terre » malgré des incursions à la télévision pour Top Chef en Italie ou en France.
« J’invite d’autres chefs au Mirazur mais je reste loin, dans mon coin », assure-t-il, faisant sauter sur les genoux son fils de 5 ans, Valentin. Son épouse brésilienne, Julia, le seconde à l’administration et se met aussi au service.
A la réouverture du restaurant en mars, après une habituelle pause hivernale pendant laquelle le chef emmène sa famille en Amérique latine, Mauro Colagreco a réduit à 12 le nombre de tables pour agrandir l’office et pour que tous les convives aient une vue plongeante sur la mer.
Il a aussi supprimé un service et multiplié sa surface potagère, cultivée strictement en permaculture.
A moins qu’il ne voyage, c’est au jardin qu’il reçoit le visiteur, décontracté en jean et en sweat-shirt, intarissable sur ses expériences pour acclimater des variétés de maïs andines ou de pommes de terre argentines, sur ses ruches ou ses poules dont l’une pond des oeufs bleus.
« Chaque matin, je me réveille et je me dis +quelle chance!+ C’est incroyable comment la terre réagit quand on la soigne. C’est le signe que l’on peut toujours inverser la tendance », assure Mauro Colagreco. « La nature te rapproche toujours de l’essentiel ».
– Note acidulée –
Le Mirazur, dont la brigade compte 25 personnes de huit nationalités, est aujourd’hui auto-suffisant à 25%, avec le but de monter à 60-70% d’approvisionnement maison.
Les recettes, souvent relevées d’une note acidulée, en sont le reflet, comme la tartelette de petits pois et févettes couronnée de 27 pétales de couleur différente.
Sauf exception, le reste vient de fournisseurs situés à 50 km à la ronde auxquels Colagreco voue une fidélité sans faille. Il y a le cueilleur de morilles de la vallée, le laitier de Sospel, Prosper le pêcheur de Menton, Patricia qui jette ses filets à San Remo, des revendeurs du marché de Vintimille, etc.
« Quand je ne cuisine pas, je m’angoisse, quelque chose me manque », avoue le chef.
Il cultive une ultime botte secrète: des classeurs dans lesquels il garde la trace de ce que chaque client a mangé au Mirazur depuis l’ouverture, pour être sûr de ne jamais servir la même chose.
« C’est personnalisé et ça nous pousse à être tout le temps dans la création ».
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