Par Mustafa HAJI ABDINUR – Mohamed ABDIWAHAB – © 2018 AFP
Monter une laiterie à Mogadiscio n’a rien d’évident. Les attentats à la voiture piégée secouent régulièrement la capitale somalienne, l’électricité est une denrée coûteuse et la majorité des Somaliens ne boit pas de lait de vache.
Mais Abdulkadir Mohamed Salad, qui a passé la plupart de sa vie réfugié en Angleterre, où il fut employé dans une laiterie, est convaincu que son affaire peut fonctionner dans ce pays où le bétail abonde et où des tonnes de lait en poudre sont importées chaque année.
« Au premier abord, il est difficile d’investir dans un environnement hostile comme la Somalie et, par ailleurs, peu de gens s’y connaissent ici dans l’industrie laitière, » concède M. Salad, 40 ans, dans les modestes locaux de son entreprise où une machine en acier inoxydable pompe le lait dans de petits sachets bleus.
De mauvaises pratiques sanitaires par le passé ont conduit de nombreux Somaliens à considérer que le lait de vache est mauvais pour la santé et à lui préférer du lait de dromadaire ou du lait en poudre.
Salad a quitté la Somalie peu après la chute du président Siad Barre et de son régime militaire en 1991, qui a plongé le pays dans la guerre civile et l’anarchie totale, mettant à mal les institutions gouvernementales et l’économie.
Il a été chauffeur de taxi avant de travailler dans une laiterie de Leicester, où sa femme et ses enfants sont toujours installés.
– Halte au gaspillage –
Face à la quantité de bétail dans le pays, Salad a été frappé par l’absence criante d’entreprises de transformation de lait. Avec deux associés, il a ainsi décidé d’ouvrir sa propre société en 2017, appelée Irman Dairy.
« Les bovins sont une des ressources économiques de la Somalie… mais des tonnes de lait en poudre sont importées chaque année alors qu’ici nos ressources sont gaspillées, et peu de personnes en bénéficient », ajoute-t-il.
Située dans le sud de Mogadiscio, Irman Dairy doit composer avec les problèmes de sécurité de la capitale, qui affectent à la fois la production et la distribution.
La ville est la cible régulière d’attentats-suicides commis par les shebab, les insurgés islamistes radicaux affiliés à Al-Qaïda qui tentent depuis plus de 10 ans de renverser le gouvernement.
Parfois, la petite camionnette d’Irman Dairy, décorée d’une vache peinte aux couleurs vives, revient sans rien avoir livré, à cause de routes barrées pour des raisons de sécurité ou en raison d’attaques.
« Certains jours, nous n’ouvrons pas la laiterie à cause de la situation sécuritaire en ville. Cela affecte notre entreprise étant donné que nous avons des salariés à payer et des coûts administratifs », déplore M. Salad. « La capacité de production de la laiterie est de 10.000 litres par jour, mais en ce moment nous pouvons produire uniquement 2.000 litres quotidiennement, à cause de nombreuses contraintes et de la faiblesse du marché », poursuit-il.
Les propriétaires de la laiterie ont plusieurs fois pensé à jeter l’éponge, en raison notamment des coûts très élevés de l’électricité.
Néanmoins, ce problème a été réglé quand la société a pu s’équiper de panneaux solaires, grâce à un financement de la coopération américaine pour favoriser l’entrepreneuriat.
« Nous avons de la chance d’avoir ce système d’électricité solaire pour faire fonctionner l’entreprise. Sans cela, on aurait pu la fermer parce que l’énergie est un gros problème ici », précise Salad.
– Du lait somalien, « enfin » –
Irman distribue son lait dans plusieurs supermarchés de la ville et vend un dollar chaque sachet de 500 ml.
« Certaines personnes de ma famille pensent que le lait de vache frais est mauvais pour la santé et à la place ils consomment du lait en poudre », explique Abdirahman Ali, un consommateur pourtant en train d’acheter un sachet de lait dans un supermarché. « Mais ces derniers mois, j’utilise le lait produit par Irman Dairy et j’aime beaucoup. Maintenant, toute ma famille a fini par l’aimer aussi ».
Sayid Ali, propriétaire d’un supermarché à Mogadiscio, est lui aussi content d’avoir enfin du lait produit localement dans ses rayons.
« Nous avions l’habitude de vendre du lait de plusieurs marques étrangères mais maintenant nous vendons aussi le lait somalien d’Irman Dairy. Le nombre de personnes intéressées augmente également », témoigne-t-il.
A l’instar de la laiterie, de nouvelles entreprises ont fait leur apparition à Mogadiscio ces dernières années, créées par des commerçants locaux ou des membres de la diaspora qui ouvrent des supermarchés par exemple.
Mais la plupart des produits qui y sont vendus sont importés.
« Le gouvernement doit encourager les investisseurs nationaux comme Irman Dairy », estime Omar Ahmed, un homme politique somalien. « Maintenant ma famille consomme du lait frais dont je sais qu’il provient de vaches locales ».