Par Alexandre MARCHAND – Crédit photo: Chandan KHANNA © 2018 AFP
Armé de grandes pinces en métal, le jeune ouvrier indien projette le lourd parpaing de glace sur le plancher vermoulu de la plateforme. Lancé comme un palet de hockey, le bloc d’une cinquantaine de kilos va spontanément glisser à l’intérieur du camion réfrigéré.
En pleine saison chaude, les usines de production de glace et glaçons de New Delhi tournent à plein régime pour rafraîchir les boissons et étals de la mégapole d’une vingtaine de millions d’habitants.
Dans l’une de ces fabriques de Noida, en banlieue de la capitale, une cinquantaine d’employés produisent ainsi des dizaines de tonnes d’eau gelée par jour au sein d’un hangar sombre et moisi par l’humidité. Un processus très artisanal…
D’un tuyau d’arrosage, un travailleur en short et tongs remplit de grands bacs rectangulaires, rouillés à l’extérieur, en eau puisée dans les nappes phréatiques et filtrée ensuite. Chacun d’entre eux dispose d’une capacité de 50 à 55 litres.
Les conteneurs sont introduits dans des ouvertures pratiquées dans le sol, où ils reposeront pendant 24h dans un bain froid à la couleur terreuse. Le niveau de celui-ci est toutefois calibré pour qu’il ne s’immisce pas dans le compartiment destiné à la congélation.
La solution est « une eau salée, dans laquelle nous introduisons de l’ammoniac pour qu’elle soit à moins douze degrés Celsius », explique Shreeram Yadav, un responsable technique.
Le sel et les remous constants créés par des turbines permettent d’éviter que le bain ne gèle lui-même. Sur les tuyaux de la vieille machine de refroidissement, des cadavres de mouches sont pris au piège d’une croûte de glace blanche.
Vingt-quatre heures plus tard, la glace est fraîche! Les ouvriers ôtent les planches qui couvraient les bacs et les sortent à l’aide d’un système de levage manuel.
Une fois dehors, ils sont arrosés d’eau à température ambiante pour desceller les gros blocs. Les casiers fument au contact de la chaleur de l’air.
Une fois extirpés, les parpaings – vendus 130 roupies (1,6 euro) l’unité – sont chargés à bord du véhicule du client.
Ces barres « serviront pour les marchés de poissons, dans les gares, etc », indique Babloo, l’un des gérants de l’usine.
De l’autre côté du hangar, des cylindres crachent par des toboggans un torrent de petits glaçons à l’intérieur d’une pièce sans lumière. Pataugeant dans la glace fondue, le personnel les ramasse par pelletées et les fourre dans des sacs.
De là, les glaçons partent en direction des restaurants de New Delhi où ils finiront leur vie en se dissolvant dans un verre de soda.