Par Jasmine LEUNG – Crédit photo: Nicolas ASFOURI – © AFP 2019
« Sois comme l’eau », « Sans retrait, pas de dispersion »… Cette année, à Hong Kong, même les gâteaux de lune traditionnellement offerts pour la Fête de la mi-automne revêtent un caractère politique.
La pâtissière Naomi Suen a troqué les complexes idéogrammes chinois décorant habituellement les gâteaux de lune – ils indiquent souvent la marque du fabriquant ou la recette de la garniture – pour les slogans des militants qui, depuis plus de trois mois, manifestent dans l’ex-colonie britannique pour dénoncer le recul des libertés et les ingérences de Pékin dans les affaires hongkongaises.
Son objectif, explique-t-elle, est de contribuer à rapprocher les « jeunes générations des plus âgées », de « donner de la force au mouvement » et surtout d’« apporter du bonheur ».
« Be water » (« Sois comme l’eau ») est un des mots d’ordre des manifestants revendiquant la philosophie de la défunte star hongkongaise des arts martiaux Bruce Lee. Aujourd’hui, être fluide « comme l’eau » permet de s’adapter et de mieux échapper aux forces de l’ordre.
« Sans retrait, pas de dispersion » est une référence au projet de loi prévoyant d’autoriser les extraditions vers la Chine, à l’origine de la crise politique qui secoue depuis plus de trois mois l’ex-colonie britannique.
Jamais Hong Kong n’a connu de telles convulsions depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, avec des manifestations monstres et des actions quasi quotidiennes qui ont parfois dégénéré en violents affrontements entre radicaux et force de l’ordre.
Depuis qu’elle a repris la pâtisserie héritée de son grand-père, Naomi Suen a fait des slogans souvent légèrement subversifs qui ornent ses gâteaux sa spécialité. Une idée originale qui séduit tout particulièrement les jeunes.
Les habitants de son quartier se pressent devant sa minuscule pâtisserie, espérant en repartir avec des boîtes pleines de ces desserts à la garniture sucrée et compacte, souvent à base de graines de lotus et de jaunes d’oeuf.
– « Un endroit libre » –
« J’en achète des dizaines pour les partager avec mes amis et ma famille », indique Joyce Lam, une cliente.
Ces douceurs, rondes comme une pleine lune, sont une pâtisserie traditionnelle chinoise. A l’occasion de la Fête de la mi-automne, une des plus grandes fêtes chinoises, les familles se réunissent pour les déguster ensemble.
Plusieurs légendes racontent l’origine de cette fête, qui commence vendredi.
L’une d’elles évoque Chang E, une très belle femme qui aurait bu un élixir d’immortalité pour empêcher qu’il tombe entre les mains d’un rival de son mari. Elle se serait alors mise à flotter dans les airs, jusque sur la Lune. Son mari éperdu de douleur resta seul sur Terre, où il prit l’habitude de déposer la nourriture favorite de son aimée – les gâteaux de lune – devant un autel, un rituel ensuite adopté par les habitants de sa région.
Selon un autre conte populaire, remontant au XIIIe siècle, les Chinois utilisaient les pâtisseries pour faire passer clandestinement des messages alors qu’ils résistaient à l’Empire mongol.
Endossant le passé révolutionnaire de cette fête, qui coïncide avec la pleine lune, les militants pro-démocratie hongkongais ont appelé à des manifestations vendredi soir.
Un rassemblement est organisé sur deux des points culminants les plus célèbres de la ville, le Peak et Lion’s Rock. Les Hongkongais sont invités à y venir pour entonner des chants contestataires, à la lumière des traditionnelles lanternes.
En se mêlant ainsi de politique derrière ses fourneaux, Naomi Suen sait qu’elle prend des risques. Cette ex-styliste a d’ailleurs reçu des commentaires critiques sur Facebook émanant de partisans du gouvernement ou d’opposants aux manifestations.
Mais elle n’en a cure. « Hong Kong a toujours été un endroit libre. Je ne commets pas de crime, donc je ne vois pas pourquoi j’aurais peur ».