Par Isabel MALSANG – Crédit photo: Bertrand GUAY / © AFP
Sur de grands plateaux ronds en bois, Maroilles, Chavignol, Epoisses et Brie de Meaux exhalent les parfums des terroirs: Paris accueille ce week-end une « fête des fromages AOP » sponsorisée par l’Union européenne. Mais certains exposants affichent des mines préoccupées.
Les États-Unis ont imposé vendredi des taxes douanières punitives sur une série de produits agricoles européens, en réponse à un différend commercial dans l’aéronautique entre Boeing et Airbus.
« Ouf ! Cette fois-ci, le Roquefort (un fromage au lait cru de brebis du sud de la France) est passé à travers les mailles du filet », lâche dans un soupir de soulagement une responsable de la plus ancienne et emblématique appellation fromagère française, qui participe à l’exposition parisienne des appellations d’origine protégée, ou AOP, un label européen pour les produits de terroir.
La plupart des fromages français ont effectivement été épargnés pour l’instant. Mais certains craignent que les 25.000 tonnes de fromages exportés chaque année outre-Atlantique soient les prochaines sur la liste des taxes douanières du président américain Donald Trump.
Alors que Parisiens et touristes se pressent pour goûter les Beaufort et Reblochon élaborés en Savoie (est de la France), qui appartiennent à la cinquantaine de fromages, crèmes et beurres bénéficiant en France de l’AOP européenne, les mauvais souvenirs américains du Roquefort remontent à la surface.
« Nous avons subi une surtaxation pendant 10 ans aux États-Unis, de 1999 à 2009, en réponse à l’interdiction de commercialisation du boeuf aux hormones américain en Europe », se souvient Cécile Arondel-Schultz, secrétaire générale de la Confédération générale de Roquefort.
– « Une guerre » –
Aujourd’hui, en France, les sanctions visent la majorité des vins, en épargnant les pétillants, les spiritueux et le vin en vrac. Elles frappent aussi une grande partie des fromages italiens, dont le Parmesan, des vins espagnols, allemands et britanniques, des whiskys écossais « single malt », des olives et huiles espagnoles…
Un ciblage « machiavélique », pour « semer le trouble entre les États membres » de l’Union européenne, estime un responsable de la filière laitière française.
« Ils n’ont pas trop touché les gros contingents industriels, les grandes marques, ils s’attaquent aux produits à appellation géographique, soit le symbole de l’Europe, c’est une guerre », tonne aussi Claude Vermont-Desroches, président de l’ONG OriGIn basée à Genève (Suisse), qui réunit les quelques 9.000 produits à indication géographique, dont la majorité sont européens, répertoriés sur la planète.
Pour M. Vermont-Desroches, qui a longtemps dirigé l’une des AOP phare en France, celle du Comté, « les Américains veulent écraser une exception européenne ».
« Je reviens de Bruxelles où j’ai vu une lettre des producteurs laitiers américains adressée au président Trump dans laquelle ils disent leur haine du système européen, qu’ils jugent protectionniste », assure-t-il à l’AFP.
Les vins, fromages et charcuteries AOP font la part belle aux paysans et aux viticulteurs, aux terroirs et à leurs savoir-faire locaux, et sont mal vus aux États-Unis « qui défendent les marques privées et ne sont pas favorables aux démarches collectives de territoires », estime Michel Lacoste, président du Conseil national des appellations d’origine laitière (CNAOL) et lui-même éleveur laitier.
« Derrière l’activité économique générée » par les 600 tonnes de Comté exportées chaque année aux États-Unis, Alain Mathieu, producteur de lait dans le Jura (est) et nouveau président de l’interprofession de ce fromage, relève surtout l’importance du « travail de long terme pour sensibiliser des consommateurs américains aux valeurs des fromages d’appellation d’origine ».
Pour lui, les AOP, reliés à des territoires géographiques précis et devant respecter des cahiers des charges drastiques sur leurs méthodes de fabrication (races des vaches ou des brebis, taille des troupeaux, alimentation des animaux, pâte crue ou cuite, etc) doivent être protégés. Ils sont synonymes de « culture », de « collectif », « d’environnement » et de « gastronomie ».
Une sorte d’exception européenne synonyme de qualité, défendue par la Commission dans les accords commerciaux qu’elle signe avec des tiers et même reconnue par l’Organisation mondiale du Commerce, qui permet de faire vivre des territoires ruraux ou de montagne qui seraient sinon désertés.