Par Isabel MALSANG / Crédit photo: Gerard JULIEN – © 2018 AFP
Comté, saint-nectaire, rocamadour, ou camembert: dans le grand plateau de fromages français, les Appellations d’Origine Protégée (AOP) liées à leurs terroirs ont largement aidé les producteurs à résister à la crise laitière et cherchent maintenant à monter en gamme, mais sans perdre leur âme.
Alors que le nombre d’exploitations laitières en France a été divisé par deux en douze ans, tombant à quelque 58.000 fermes laitières en 2017 contre environ 100.000 en 2005, pour une production en volume similaire, le nombre d’exploitations dans les zones à appellation est resté beaucoup plus stable, note le Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL).
« Autour de la crise laitière, les AOP sont une forme de résistance, les volumes n’ont pas baissé, le nombre d’exploitations pas trop non plus » note Sébastien Breton, délégué général du CNAOL, le comité qui réunit les 45 fromages, trois beurres et deux crèmes français liés à des savoir-faire locaux et au label européen AOP.
En 1925, le roquefort fut la première appellation d’origine contrôlée (AOC) française, désormais appelées AOP, et reconnues au niveau européen.
« Les AOP sont un garant de qualité, car ils sont basés sur un cahier des charges strict, précisant notamment l’alimentation des animaux d’élevage (vaches, brebis, chèvres) qui fournissent le lait, à hauteur de 80% d’herbe en général » note Patrice Chassard, président du comité national des appellations laitières au sein de l’organisme public INAO. « Ils sont aussi un outil de politique agricole pour développer des territoires ruraux, qui autrement seraient désertés » ou qui assurent une fonction environnementale importante, ajoute-t-il.
– Des prix du lait « insolents » –
La présence d’exploitations laitières, de familles, de métiers liés à la production de fromages permet le maintien d’activités périphériques, écoles, etc.. Même La Poste parfois garde ouverts certains minuscules bureaux de poste ruraux grâce aux activités nouvelles d’expédition de produits AOP, commercialisés en vente directe par internet.
Le fromage de chèvre « Brousse du Rove » produit autour de Marseille, pourrait prochainement intégrer la famille AOP. Les fermes autour de Marseille jouent un rôle important dans la lutte anti-incendie, notent ses promoteurs.
La zone du comté (Doubs, Jura, nord-ouest de l’Ain) est celle où l’on installe « le plus de producteurs laitiers » note Claude Vermot Desroches, président de l’appellation, « avec deux installations pour trois départs en retraite ».
« Dans certaines régions AOP, les producteurs n’ont pas du tout senti la crise laitière, leurs prix n’ont fait qu’augmenter, c’est même insolent, particulièrement en Franche-Comté et en Savoie », ajoute M. Vermot Desroches.
Il cite ainsi du lait valorisé à 0,7 ou 0,8 euro le litre, alors que globalement le prix moyen du lait à la production était tombé sous le seuil des 0,3 euro le litre en 2016, selon le CNIEL.
Certaines appellations ont récemment musclé leur cahier des charges pour augmenter leur critères de qualité, et espérer mieux se vendre. Le bleu d’Auvergne vient de réduire de moitié sa surface de production, ne maintenant que les zones de montagne où l’herbe a des qualités supérieures.
D’autres appellations ont fait le contraire. Le camembert vient de régler un différend ancestral, opposant le camembert étiqueté « de Normandie » à celui « fabriqué en Normandie ». Derrière se cache une vieille bataille entre le camembert AOP au lait cru moulé à la louche, et un camembert produit industriellement et sans aucune contrainte.
Pour régler le conflit, les instances de régulation de l’AOP ont accepté que le camembert industriel puisse obtenir le précieux label AOP, à condition qu’il soit fabriqué en Normandie et qu’il accepte des contraintes. Notamment un nombre de vaches normandes minimal pour le lait, et une obligation de pâture en extérieur.
Mais le lait cru ne fait plus partie des obligations. Au grand dam de Véronique Richez-Lerouge, auteur du livre « main basse sur les fromages AOP » pour qui le camembert « s’enfonce inexorablement dans la médiocrité ».
« Nous avons prévu la création d’une mention valorisante pour ceux qui resteront au lait cru, comme un grand cru en viticulture » répond M. Chassard. « Nous faisons le pari d’un développement du camembert au lait cru malgré tout, basé sur le goût grandissant des consommateurs pour les produits de qualité » ajoute-t-il en citant l’exemple du saint nectaire: « Il y a 10 ans, la zone vendait plus de fromage produit en laiterie qu’à la ferme » (8.000 tonnes contre 5.000). L’an dernier, « 7.000 tonnes de saint nectaire fermier ont été vendues et 6.800 tonnes de laitier ».