Par Tifenn CLINKEMAILLIE – Crédit photo: © Julia WENCKER
« Il faut rajouter du persil et la menthe! » Dans le restaurant « La Vignette », le chef français Michel Reuch assaisonne un taboulé, tandis que Fatema Katashiya Anees, réfugiée syrienne qui a composé un menu pour l’établissement, évide des aubergines grillées.
Depuis lundi, les deux chefs participent à la quatrième édition du Refugee Food Festival, où les restaurateurs ouvrent leur cuisine à des réfugiés. L’initiative, lancée à Paris en 2016 par l’association Food Sweet Food, se déroule aujourd’hui dans 14 villes du monde, de Bruxelles à New York.
A Strasbourg en Alsace, dans l’est de la France, où l’événement est organisé pour la deuxième fois, neuf restaurants volontaires ont ouvert leurs portes à dix cuisiniers ayant fui la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran et la Géorgie.
Au menu de « La Vignette », bistrot strasbourgeois, les plats traditionnels habituellement servis ont pour l’occasion cédé la place aux houmous et taboulé, suivis de raviolis farcis à la viande de bœuf accompagnés d’une sauce au yaourt (« chich barak » en syrien) et d’un cheesecake à base de mozzarella, de sucre et de fleur d’oranger (« halawet el jeben » en syrien).
Avant de mijoter des plats de restaurants, Fatema Katashiya Anees était mère au foyer à Alep.
« J’ai appris la cuisine avec ma mère, puis après toute seule. J’aime beaucoup cuisiner, surtout la pâtisserie », raconte la jeune femme de 32 ans, qui a déjà participé à deux reprises au Refugee Food Festival à Strasbourg.
Fatema, son mari Abdul, en formation pour devenir tourneur-fraiseur, et leur fille de 10 ans sont arrivés en 2016 à Colmar, non loin de Strasbourg. La même année, la famille obtient le statut de réfugiés et décide de s’installer à Strasbourg.
« On voulait venir ici« , explique la cheffe, qui a fui son pays pour échapper à la guerre. « Avec mon mari, on voudrait ouvrir un restaurant et faire des assiettes syriennes et françaises », confie la trentenaire, qui regrette « le problème de la langue ». « En Syrie, on apprend juste l’arabe et l’anglais ».
– « La cuisine, lien universel » –
« Les cuisiniers sont soit des professionnels, soit des amateurs. Le but du festival est de contribuer à changer le regard sur les personnes issues de la migration, de favoriser leur insertion socioprofessionnelle et de faire découvrir des saveurs venues d’ailleurs », détaille Hélène Berrier, présidente de l’association Stamtish, porteuse du projet à Strasbourg. « On considère que la cuisine est un moyen de création de lien qui est universel », ajoute-t-elle.
Contrairement aux éditions précédentes, où chefs français et réfugiés combinaient leurs savoirs pour un repas unique, cette année la cohabitation s’inscrit dans la durée: Fatema Katashiya Anees a ainsi passé une semaine dans les cuisines de « La Vignette ».
« L’intégration est plus facile. Travailler sur la durée permet de se rendre compte de la réalité du métier », affirme le chef français Michel Reuch. Il accueille déjà deux jours par semaine une cuisinière marocaine dans le cadre du projet « Des étoiles et des femmes », ayant pour but de proposer une formation aux femmes éloignées de l’emploi.
« On est dans un métier constamment en tension, on est constamment en train de chercher du personnel mais on n’appuie pas sur les bons boutons », déplore le chef, qui voit dans l’organisation du Refugee Food Festival une occasion de proposer une formation aux réfugiés.
« J’aime la cuisine française de base mais avoir d’autres cuisiniers nous permet d’innover. Fatema par exemple, sa façon d’assaisonner c’est différent », ajoute le chef, avide de « créer une émulation » en cuisine.
Selon Hélène Berrier, les chefs réfugiés auront pendant 10 jours ravi les papilles de 1.900 personnes lors de l’édition 2019 du Refugee Food Festival à Strasbourg, soit environ le double de l’année précédente.
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