Dans un Cuba en crise économique, la soupe populaire fait le plein

Photo: ADALBERTO ROQUE / © AFP


Par Leticia PINEDA / © 2021 AFP

Avec une grande cuillère en bois, le cuisinier « Pepin » mélange 136 kilos de viande hachée avec de la sauce tomate: le repas que sert une institution religieuse cubaine à 2.200 habitants d’un quartier pauvre de La Havane.

Avant l’arrivée du coronavirus sur l’île, en mars 2020, quelque 700 personnes venaient chaque jour à cette soupe populaire. La crise économique provoquée par la pandémie et le renforcement des sanctions américaines a fait exploser le nombre de bénéficiaires.

« Pepin », c’est le surnom de Pedro Pablo Vazquez, aux fourneaux pour ce projet communautaire baptisé Quisicuaba et consacré à la réinsertion sociale dans le quartier Los Sitios, l’un des plus pauvres de la capitale cubaine.

 

soupe populaire
Le Cubain Pedro Pablo Vazquez, surnommé « Pepin », cuisine pour le projet communautaire Quisicuaba, le 1er novembre 2021 à La Havane. (Photo: ADALBERTO ROQUE / © AFP)

 

« Moi j’étais un gamin qui traînait dans la rue sans travailler, j’avais eu des problèmes… le parrain m’a accueilli ici, et désormais grâce à lui je suis quelqu’un de bien », confie à l’AFP l’homme de 40 ans, dans la petite cuisine où il s’agite depuis l’aube.

Ce « parrain » qu’il mentionne est Enrique Aleman, directeur de ce projet communautaire et leader d’une organisation religieuse spiritiste qui vient en aide aux mères célibataires, familles de détenus, séropositifs, alcooliques et sans abri.

« Quartiers vulnérables »

« Le boom de l’affluence à la soupe populaire est un effet du blocus (l’embargo américain en vigueur depuis 1962 et récemment renforcé, ndlr), en pleine pandémie », estime Enrique Aleman, entouré d’objets liés au spiritisme dans son bureau, autrefois un foyer d’anciens esclaves Kissi, venus d’Angola au 16e siècle, et désormais un musée, propriété de sa famille depuis 1932.

Et « nous sommes dans l’un des 61 quartiers de La Havane les plus vulnérables ».

 

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Un homme attend une distribution de repas au projet communautaire Quisicuaba, le 1er novembre 2021 à La Havane. (Photo: ADALBERTO ROQUE / © AFP)

 

Après les manifestations historiques du 11 juillet, quand des milliers de Cubains ont protesté aux cris de « Nous avons faim » et « Liberté », le président Miguel Diaz-Canel avait désigné une soixantaine de quartiers défavorisés de la capitale comme prioritaires pour y implanter des programmes sociaux.

« Les plus grandes actions sont liées au social et à ce qui est à tous. Qu’est-ce qui est à tous? Les services basiques indispensables du quartier, les bodegas (où la nourriture est vendue à bas prix, ndlr), le cabinet médical, le parc pour enfants » et les logements, avait précisé en octobre le gouverneur de La Havane, Reinaldo Garcia.

 

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Enrique Aleman, directeur du projet communautaire Quisicuaba, inspecte la nourriture qui sera distribuée dans le quartier pauvre de Los Sitios, le 1er novembre 2021 à La Havane. (Photo: ADALBERTO ROQUE / © AFP)

 

Le programme gouvernemental a été lancé alors que la crise économique – la pire en 27 ans, avec une chute du PIB de 11% en 2020, frappe surtout les plus pauvres.

A Los Sitios, l’eau et l’électricité ont souvent été coupées, tandis que les difficultés pour s’alimenter grandissaient.

La soupe populaire du quartier ne reçoit pourtant aucun argent de l’Etat et se finance uniquement grâce à la communauté religieuse, via des dons et l’aumône.

« Un peu à manger » 

Sur une table, des récipients de différentes tailles ont été posés. On y lit les prénoms de leurs propriétaires, « Esther » ou « Lecida », ou un simple numéro, « 19 », « 92 »…

Isabel Antomarchi, 70 ans, travaille là depuis 30 ans. Avec une vieille cuillère en métal, elle sert la viande accompagnée de riz jaune.

Ce service est pour « les gens sans domicile, qui vivent dans la rue, qui n’ont pas de famille, nulle part où vivre, ils sont expulsés de leurs maisons et viennent ici prendre un peu à manger », raconte celle que tout le monde appelle « tia » (tante).

 

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Isabel Antomarchi, 70 ans, chargée de distribuer la nourriture au projet communautaire Quisicuaba, le 1er novembre 2021 à La Havane. (Photo: ADALBERTO ROQUE / © AFP)

 

Les bénéficiaires attendent sur un terrain proche qu’un volontaire leur rende leurs récipients remplis, à travers une fenêtre.

Dans ce pays de 11,2 millions d’habitants et dirigé par le Parti communiste, seul autorisé, les organisations religieuses comblent depuis plusieurs années les espaces que l’Etat ne peut plus couvrir.

Car malgré la volonté d’imposer un athéisme marxiste, 70% de la population dit encore avoir une croyance, bien souvent un syncrétisme qui mélange les religions catholique et évangélique avec les cultes africains et spiritistes.

A la différence de l’opposition, qui réclame plus de liberté et accuse le gouvernement d’être grandement responsable des difficultés économiques, le projet Quisicuaba coïncide pleinement « avec les sentiments de la révolution et la volonté de la révolution cubaine », affirme son leader.

L.P.


 

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