En 2011, Ferran Adrià fermait son restaurant elBulli en pleine gloire. Aujourd’hui, le bouillonnant Catalan veut faire vivre l’héritage de sa cuisine expérimentale, parfois controversée, et faire mentir ceux qui la jugent « démodée », sans ouvrir un nouveau restaurant.
« Je n’ai pas arrêté de travailler », déclare à l’AFP le chef de 56 ans, considéré comme le « pape » de la cuisine moléculaire, de passage à Paris pour présenter une série documentaire en quinze épisodes, dont trois inédits, disponible à partir du 2 juillet sur la plateforme Amazon Prime Video (« elBulli: l’histoire d’un rêve »).
Un travail qui depuis sept ans s’opère loin de l’agitation des fourneaux. L’Espagnol avait surpris tout le monde en décidant de fermer sa table avant-gardiste de Rosas, en Catalogne, auréolée de trois étoiles Michelin et cinq fois sacrée « meilleur restaurant du monde » par le classement des « 50 Best », exprimant une certaine lassitude.
La fermeture avait fait couler beaucoup d’encre. Pour l’expliquer, Ferran Adrià évoque l’influence de Joël Robuchon, qui lui-même avait choisi en 1996 de prendre une semi-retraite (avant de revenir neuf ans plus tard):
« Joël m’avait dit: ‘Ferran, tu vas être incroyable, mais il faut que tu saches quand changer’. J’ai toujours eu cela en tête ».
Si la retraite de Joël Robuchon n’a été que temporaire, Ferran Adrià, lui, assure ne pas vouloir remettre son tablier.
« Cela n’a aucun sens pour moi d’ouvrir un restaurant. Pour quoi faire? », lance le chef.
Il a en revanche aidé son frère Albert, à monter ses six établissements barcelonais, dont Enigma, un « bébé de elBulli », classé 95e dans la version longue du classement des « 50 Best ».
Désormais, il prodigue ses conseils, enseigne à Harvard, et se dédie à sa fondation, financée à hauteur de 12 millions d’euros par des fonds privés (Telefonica, CaixaBank et Lavazza).
Parmi ses projets, le lancement maintes fois repoussé et prévu en 2019, avec cinq ans de retard, d’un centre dédié à l’innovation et la créativité en gastronomie, à Cala Montjoi, à l’emplacement de son ancien restaurant.
– 1.846 recettes –
Le chef, qui a vu passer dans la cuisine de elBulli des grands noms de la gastronomie actuelle, comme Joan Roca (El Celler de Can Roca), Massimo Bottura (Osteria Francescana) et René Redzepi (Noma) veut « ouvrir la voie » aux talents.
« 95% des restaurants que j’ai aidés sont des restaurants à succès », assure Ferran Adrià, qui a notamment été le mentor du chef espagnol José Andrés, à la tête du Minibar à Washington, deux étoiles Michelin.
Il souligne l’impact toujours actuel de sa cuisine, qu’il préfère qualifier de « techno-émotionnelle » plutôt que de « moléculaire », un terme qu’il rejette comme trop réducteur.
« On me dit que je suis démodé, qu’on ne fait plus d’ « espumas » (mousses légères). Mais il y a des milliers de restaurants dans le monde qui utilisent le siphon ! », affirme cet « alchimiste » qui a conçu 1.846 recettes, créatives et déroutantes, comme une croquette liquide, une mousse de haricots blancs avec oursins, du foie gras en poudre… La mission de elBulli était de sonder « les limites de l’expérience gastronomique sans tomber dans la performance », rappelle le chef.
Il espère que la série va démonter les « mythes » autour du restaurant, qui a souvent fait l’objet de polémiques, notamment liées à l’utilisation d’additifs.
« Le sel est bien pire pour la santé que n’importe quel stabilisant », répond Ferran Adrià.
Le chef, qui était devenu pour la presse anglo-saxonne le symbole d’une nouvelle hégémonie espagnole en gastronomie, se présente comme un « enfant de la Nouvelle Cuisine française », citant Michel Guérard, les Troisgros, Paul Bocuse et Alain Chapel.
Pour son ambitieux projet de « Bullipedia », visant à constituer une énorme encyclopédie sur la gastronomie, cet autodidacte s’est plongé dans les 400 ans d’histoire culinaire française.
« C’est l’une de mes sources d’inspiration », dit le chef qui cite aussi parmi ses références les cuisines du Mexique, du Pérou, de Chine et du Japon.