Par Matthieu DEMEESTERE – Crédit photo:John THYS – © 2018 AFP
En Belgique, pays de la bière, les cafés qui la servent font partie du paysage, et pour certains du patrimoine historique que les autorités veulent préserver. En Flandre, les spécialistes ont recensé une dizaine de lieux centenaires aux intérieurs « intacts ».
Le PastaCafé, installé au cœur du village d’Alsemberg, dans le Brabant néerlandophone au sud de Bruxelles, compte parmi ces lieux qui ont su garder le mieux leur décor des années 1920-1930.
Le comptoir et les boiseries foncées sont d’époque, tout comme les appuis-tête en cuir qui subsistent sur les bancs en bois.
Les fissures en témoignent: le carrelage multicolore du sol, typique des maisons construites à l’aube du 20e siècle, a subi le poids d’un nombre incalculable de fêtards.
« Il y a même un cheval qui est rentré ici », s’amuse la gérante, Ilse Rillaert, en brandissant comme preuve une vieille photo des années 1970 ou 80.
Aux antipodes de nombreux cafés bling-bling, « c’est charmant, authentique », poursuit cette trentenaire en faisant découvrir sa salle de restaurant et sa cuisine ouverte. « Il y a beaucoup de chaleur, les gens qui viennent manger ici sont comme chez eux avec un intérieur comme ça », ajoute-t-elle.
– Décor de film –
Ilse Rillaert a repris ce café à son frère en 2013. Il était autrefois connu sous le nom « De Hoorn » (Au Cornet) et a servi de décor pour un film en costumes tourné en anglais par le cinéaste français François Ozon (« Angel », 2007), raconte-t-elle.
Il fut aussi le lieu de rassemblement favori dans les années 90 du groupe de pop flamand Clouseau, des quasi-voisins devenus des habitués.
Avec sa façade de brique rouge typique de la Belgique ou du nord de la France, c’est l’un des trois cafés que le gouvernement flamand a proposé à la mi-août d’ajouter à une liste de sites classés en raison de leurs intérieurs centenaires jugés « exceptionnels ».
Il existe des centaines de bistrots ou estaminets anciens en Belgique, un pays qui peut se targuer depuis 2017 d’une culture de la bière élevée par l’Unesco au rang de « patrimoine immatériel de l’humanité ».
« Mais si on veut des intérieurs complètement intacts, typiques des cafés bourgeois de la première moitié du 20e siècle, alors il n’y en a plus qu’une poignée », explique à l’AFP Joeri Mertens, chercheur spécialisé en patrimoine immobilier à la Région flamande.
Sept d’entre eux sont déjà classés dans cette région. Les trois autres sélectionnés en août (dont le PastaCafé) devraient l’être définitivement d’ici à l’été prochain, après l’étape obligatoire de l’enquête publique dans la commune.
– Travaux subventionnés –
L’objectif est de pouvoir montrer aux générations futures ce mobilier, ces plafonds en stuc et ces miroirs d’époque, quitte à imposer quelques contraintes aux propriétaires.
« Ils devront solliciter notre approbation pour des aménagements », poursuit l’expert flamand, « mais d’un autre côté nous avons des budgets auxquels ils peuvent prétendre pour rénover au mieux. »
« Quand j’arrêterai, le repreneur ne pourra plus casser l’endroit (…) C’est super de savoir que ça va rester », fait valoir de son côté Ilse Rillaert.
En Belgique où la protection du patrimoine est une compétence des régions, la Flandre n’est pas la seule à valoriser ses cafés comme précieux témoins du passé.
Bruxelles et la Wallonie ont procédé à des classements, parfois dès les années 1980, notamment pour des intérieurs adoptant le style Art nouveau du célèbre architecte belge Victor Horta.
Mais là aussi les exemples sont peu nombreux.
Le café bruxellois « A La Mort Subite », ouvert en 1910, fait figure d’exception avec une protection portant sur « l’intérieur, l’extérieur, l’étage et la cave », selon son patron, Bernard Moucharte.
« C’est difficile de trouver des cafés qui ont su conserver leur cachet intégral à travers le temps », souligne Julien Maquet, de l’Agence wallonne du patrimoine.
Il cite seulement deux cas dans cette région francophone, dont le Modern Hôtel à Soignies, joyau de l’Art nouveau, actuellement fermé pour rénovation avant la quête d’un repreneur.