Crédit photo: Anis KALAI – © Copyright mangeonsbien.com
J’en perds mon alphabet ! C’est qu’il est bien difficile d’envisager un abécédaire sans commencer par l’alpha de toutes les lettres dont les contours épousent notre bonne vieille « Assida ». Cette douceur de notre tradition, nous la consommons au miel lorsqu’elle est rustique ou bien avec les fameuses graines de pin d’Alep que nous nommons « Zgougou ».
Bien sûr, notre « Assida » se décline aussi selon les saveurs pistache ou noisette ! Seulement, il serait alors difficile de sortir de cette première lettre de l’alphabet tant la tentation pourrait nous interdire de nous éloigner de cette douceur si caractéristique des fêtes du Mouled (la naissance du Prophète Mahomet-Ndlr).
Ma lettre B se décline avec Beignet. Ils sont nombreux et variés et nous les recouvrons du terme générique de « Ftaier ». Ces beignets peuvent prendre la forme du « Sfinj », des « Zlabiya » de Nabeul, des « Mkharek » de Béja, des « Bambalounis » et aussi du « Yoyo » que les anciens qualifiaient de « Kaâk Zbeida », comme pour lui attribuer une mère mythique.
La lettre C correspond à Crèmes dans mon alphabet gourmand! Avec cette lettre, les papilles s’éveillent aussi bien à la simple « Crima » qu’aux préparations plus complexes comme la « Bouza » (sorgho aux fruits secs) ou la « Bouza bel boufrioua » (aux noisettes), la « Zriga » ( crème à la pâte farcie) ou la « Beloueza » (crème aux pignons de pin). Dans ces desserts traditionnels, ne manquons pas d’inclure le « Droô », une simple mais ô combien succulente bouillie de sorgho.
Pour la lettre D, comment ne pas songer tout simplement à Dessert, tout en revenant aux plus emblématiques d’entre eux, ceux qui prennent le riz et le couscous comme base. Laissez-moi dès lors faire l’éloge du « Mesfouf », ce couscous tout en douceur qu’on peut servir avec des raisins frais ou secs, des grains de grenade ou encore selon la délicieuse tradition dite « Bin narin » (entre deux feux) qui conjugue au couscous les plus savoureux des fruits secs, comme les noix, les noisettes ou les pignons.
Ne sortons pas de cet univers sans un clin d’oeil à la tout aussi fameuse « Rfissa », un couscous sucré aux dattes qui fleure bon les fourneaux ancestraux ou le « rfiss tounsi », une douceur empruntée par nos voisins Algériens. Il existe d’ailleurs des « Rfissas » au riz accompagnées de fruits secs qui sont de véritables délices du terroir.
De plus, le riz est présent dans bien des préparations traditionnelles comme la « Mhalbiya » (riz au lait) ou la « Rkhaymiya » qui lui est très proche. Dans cette catégorie des desserts classiques, n’oublions pas les plébiscitées « Mahkouka » à la semoule, « Madmouja » à la pâte feuilletée et le fameux « Zrir » (une crème de sésame très consistante et calorique que l’on prépare traditionnellement après une naissance-Ndlr).
Difficile de s’extirper de cet univers de douceurs! Au point où j’ai l’envie de passer à la prochaine lettre sous le signe de la fuite en avant… C’est que les pâtisseries dans leur diversité finissent par vous éberluer! Que diriez-vous d’une « Khobzet droô » à la farine de sorgho ? Ou d’un carré de « Hrisset louz » à la pâte d’amande aux odeurs envoûtantes? Ou d’une « Khobzet fékia » ? Et une de ces « Herdeba » oubliées dont la texture bonifie la semoule ?
Dans cette douce geôle qui sera ma lettre G, je rêve de tous ces gâteaux pas comme les autres, avec leur farce aux amandes et consorts. Comment ne pas goûter à la « Samsa », ce feuilleté aux noisettes ses jours fastes ?
Comment ne pas sacrifier aux « Souabaâ Aljia », pâte farcie aux amandes qui évoque les doigts d’une mythique odalisque, ou aux fameuses « Bricks » de Mahdia ?
Et comment oublier la « Jawiya » ou « Lamkhakh » ou « Ourta » ou « Mhannecha » ou la « Brick hlou », appelé aussi « Bricket h’lib » (Brick au lait, en français) ou « Ouedhnine el Kadhi » (les oreilles du juge), dits aussi « Debla » ou « Chbabek el jenna » (les fenêtres du paradis) qui comme son nom le suggère, troque les farces salées pour des effluves plus sucrés ?
La lettre H vaudra Hospitalité! Car, dans chaque maison, l’Aid venu, on vous offrira un plateau de toutes les tentations; de celles qui donnent le vertige et laissent le gourmand dans l’indécision absolue lorsqu’il s’agit de choisir. Il y a les saveurs rustiques de la « Ghraiba » ( à la semoule, à la farine, au pois chiche ou au sorgho) comme existent celles tout aussi immémoriales du « Maqroudh ». Que dire dès lors du raffinement bourgeois des « Baklawa », des « Kaak warqa » ou des multiples « Touajen » !
Pour le I, je pencherais pour Ivresse ou Idylle voire pour l’adjectif Irrésistible. Mon alphabet n’ira d’ailleurs pas plus loin tellement griserie et frissons s’emparent irrémédiablement de moi. Mais cette ivresse aussi idyllique qu’irrésistible est en soi un Babel de toutes nos douceurs. C’est la « Takwa » aux grains de sésame que je convoquerai aux côtés des « Jwarech » et du « Tmar mehchi »! Voici la « Homsia » et la « Jeljlania », le « Halqoum », « Halwet el mgharif » et « Hhzil el bnet » ! Voici la « Guizata », le « Mlabess » et le « Bachkoutou bel maâjoun » de mes ancêtres qui reviennent aux côtés des « Ktayefs » et des « Kaak » sous toute leurs déclinaisons !
Joie et jubilation seront mes derniers mots à l’ombre de la lettre J, oméga de mon alphabet gourmand. Joie de retrouver l’écho encore vivant dans ma mémoire de ce paradis presque perdu des saveurs tunisiennes. Jubilation très proustienne aussi pour celui qui retrouve des madeleines orientales qui elles-même font resurgir d’autres épancheuses de nostalgies. Car, en me remémorant ces mille et un gâteaux de la tradition, d’autres s’imposent à leur tour à mon palais en état de grâce.
Ainsi, souvenez-vous de ces nougats et cette « Lawzia » qui se vend encore aux abords des mosquées et des marabouts. Souvenez-vous aussi de la « Maâqouda hloua » si rare et si précieuse. Souvenez-vous enfin de ces ragoûts sucrés que nous nommons « Marqa hloua » ou « Marquet kastel » qui, aujourd’hui révolus, conjuguaient marrons, abricots et fruits secs. Décidément difficile de sortir de cette auberge de toutes les finesses! Amputé de la moitié de mon alphabet, je ne trouve mon salut que dans la fuite hors de ce tourbillon des friandises.
Croyez-moi, c’est un voyage exquis, délectable et complètement nanan! Un peu comme si Ulysse n’avait pas tâté du lotos mais un bon petit plateau de pâtisseries tunisiennes, avant de tout oublier…
— Article publié le 17 juin 2017 sur mangeonsbien.com
Pingback: Douceurs ramadanesques (VI): "Bricket h'lib", un délice fourré à la crème pâtissière ! - mangeons bien
Pingback: "Cannoli": telles sont les origines siciliennes de nos délicieux "Lamkhakh" ! - mangeons bien
Pingback: À Dar Chaâbane El Fehi, la femme exhibe son art culinaire - mangeons bien
Pingback: "Youyou" à l'eau de fleur de géranium rosat - Mangeons bien
Pingback: Caviar de "zlabia" safranée assorti de "bouza" au sorgho & d'écume à l'eau de rose - Mangeons bien
Pingback: Douceurs ramadanesques (VI): "Bricket h'lib", un délice fourré à la crème pâtissière ! - © mangeons bien
Pingback: "Cannoli": telles sont les origines siciliennes de nos délicieux "Lamkhakh" ! - © mangeons bien
Pingback: La légende (toute en douceurs) de David Naouri depuis 1947