Crédit Photo: Anis KALAI – © Copyright mangeonsbien.com
Outre les empreintes berbères et ottomanes dans nos plats traditionnels, le patrimoine gastronomique tunisien se distingue, aussi, par l’influence de la cuisine andalouse. Mis à part la Mrouziya, dite aussi « Marqa hloua », que sait-on vraiment du patrimoine culinaire des Morisques dans nos contrées? Toute la question est là…
L’art culinaire andalou fait partie de l’ADN de la cuisine tunisienne. Connue par sa couleur jaune à cause de l’usage du safran et du curcuma, les mets hérités des Morisques se distinguent aussi par l’omniprésence des produits laitiers dans leurs ingrédients.
« Les recettes culinaires d’origine andalouse se sont répandues surtout chez les populations qui ont directement connu l’émigration des andalous. En dehors de ce périmètre, leur influence ne semble avoir affecté que des milieux citadins. Ceci tient aux caractéristiques bien spécifiques de cette cuisine, comme la couleur jaunâtre due au safran et à l’absence quasi-totale de certains condiments fort utilisés par l’ensemble des tunisiens, notamment dans les milieux ruraux. il est à remarquer également que le goût bien particulier dû au fromage et au smen et qui demeure un des caractères essentiels des recettes culinaires d’origine andalouse, est loin d’être apprécié par les populations du Sahel peu habituées à l’usage des produits laitiers.« , lit-on dans un article académique intitulé « Les Morisques en Tunisie un siècle après leur arrivée » par Pr. Raja Yassine Bahri et Pr. Miguel Ángel de Bunes en se basant sur le journal du père Francisco Ximénez.
À en croire ces deux historiens, dans plusieurs localités tunisiennes, les spécialités andalouses mentionnées par Ximénez au XVIIè siècle continuent de faire de la résistance comme c’est le cas avec la « olla » espagnole.
« À Testour, il existe encore un plat morisque, « kisâlech », plat spécial qui comporte des escalopes roulées avec des œufs battus et du fromage, le « banadhej » (…), pâte farcie de viande et cuite au four, le « masapan », « kaak », etc. Mais la plupart des mets d’origine morisque on les retrouve dans les grandes manifestations traditionnelles: mariage, enterrement, circoncision, etc. », souligne aussi cette publication.
Du côté de Soliman, également, les mets ramenés par les réfugiés andalous au XVIIème y continuent d’être d’usage aujourd’hui. C‘est le cas avec une artisane septuagénaire (native de 1945), dénommée Nabiha Mokline et connue sous le sobriquet de « Babia ».
Dans sa petite petite boutique qui sort da sa demeure sise en plein centre-ville, dans la rue de la Paix, cette descendante de famille andalouse continue à perpétuer la tradition des délices ramenés par les Morisques:
1 – Les « Gross »:
C’est un salé à base d’une pâte pétrie avec du fromage salé et cuite au four.
« On mange El Gross au petit déjeuner avec un café turc où durant les festivités (mariages, circoncisions ou la célébration d’un nouveau né) », fait savoir « Babia ».
2 – Les « Banadhej » (Empanada en espagnol):
C’est la même pâte mais farcie de persil et de viande cuite et pulvérisée au mortier.
3 – Les « Mjamaâ » (les fameux pain du Aïd el Kebir, mais en miniatures):
Ils sont préparés avec la même pâte des « gross » dans la quelle est incrusté un oeuf entier.
4- Les « Chbebek el jenna », dites aussi « Halwet chbebek » chez les Solimanais:
Ce sont des gâteaux frits, l’équivalent des « Ouedhnine el Kadhi » (les oreilles du juge).
5- Les « Lamkhakh » (d’origine sicilienne):
Ce sont des gâteaux en forme de cannelloni frits et farcis avec de la crème à base de semoule fine. Les « Lamkhakh » sont d’origine sicilienne: les fameux « Cannoli ». Mais les Andalous d’origine sicilienne ont su les adopter avec les exigences de la cuisine andalouse en remplaçant la crème à la ricotta avec une crème pâtissière.
6- Les « Cueyarres »:
Ce sont l’équivalent du saucisson chez les Andalous.
« Chaque Aïd el Kebir, nous réservons une partie de la viande du mouton pour préparer el cueyarres. On coupe la viande en des tranches fines pour être salées et épicées avec du curcuma et du safran. Puis, on les expose au soleil pour les faire sécher comme on fait avec el Qaddid. Une fois séchées, on coupe les tranches de viande en petits morceaux et on les mélange avec du pain rassis, du fromage et des oeufs crus pour farcir le boyau naturel du mouton. Ensuite, la saucisse est pochée dans l’eau bouillante. Et, on la laisser sécher, pendant trois jours, au soleil. Enfin, on coupe la saucisse en rondelle pour la frire dans une poêle chaude. Ces cueyarres peuvent se conserver jusqu’au prochain Aïd. D’ailleurs, de nos jours, certaines familles les conservent dans le congélateur pour l’utiliser dans les préparations de leurs mets. », précise-t-elle.
Considérée comme étant la Porte du Cap Bon, selon plusieurs Historiens, la ville doit son identité socio-culturelle à l’émigration des Andalous, entre 1609 et 1610. Chassée de son Espagne natale, une colonie de réfugiés andalous dressait son chapiteau entre 1609 et 1610 et construisait Soliman, en raison de la tour d’Abi Soleymen ou tour el blida située au centre de la cité, sur des ruines d’une cité romaine : Megalopolis. D’ailleurs, le samedi 14 mai 2016, la ville de Soliman a célébré les 400 ans de la construction de la grande mosquée malékite.
Et parmi les familles solimanaises et originaires d’Andalousie, « Babia » cite: les Rchiko, les Birso, les Ben Ismaïl, les Errai, les Bassinsa (la famille de la grand-mère de Babia), les Mokline, etc…
Ainsi, pour valoriser nos produits du terroir, des artisan(e)s comme « Babia » méritent d’être mis(es) en valeurs par les ministères du Tourisme et de la Culture & du Patrimoine à travers une programmation de circuits thématiques, incluant la visite de ce genre d’ateliers, et ce dans le cadre d’un circuit de tourisme culinaire ou alternatif… À bon entendeur, salut!
Pour les curieux:
- Adresse: « Halawiyet Babia », rue de la Paix. Soliman
- Téléphone: (+216) 23-51-90-55
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Des livres de recettes dédiés aux différentes cuisines morisque juive turque tunisiennes et d’autres sûrement à publier pour ne pas perdre ces trésors de notre patrimoines et surtout le faire revivre. C une grande richesse
Qui doit revivre par des journées dédiées à ces cuisines des journées de fête comme la fête du couscous en Sicile au mois de Septembre.
Mangeons bien est en train de faire un tel effort. Pour les livres, il faut que les mécènes puissent mettre la main dans la poche pour financer de tels projets. Sans l’apport de sponsors, c’est cause perdue !
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