Par Rebecca FRASQUET – Crédit photo: Geoffroy VAN DER HASSELT- © AFP
En 2050, la restauration devra avoir une forte « responsabilité sociale et environnementale », affirme le chef étoilé Thierry Marx, qui prône les circuits courts et permettra à des « petits artisans » de devenir fournisseurs de la Tour Eiffel.
A l’occasion du prochain salon EquipHôtel dédié à l’hôtellerie et la restauration (du 11 au 15 novembre à Paris) qu’il parraine, le cuisinier judoka multi-étoilé a réfléchi avec des étudiants de trois écoles (Ferrandi, Essec, Ensci) à la table du futur.
« Le restaurant de 2050, je le vois à impact social et environnemental fort, en cohérence complète avec la planète: avec 9,7 milliards d’individus à nourrir, le monde de la restauration a une vraie responsabilité sociale et environnementale », dit-il à l’AFP. « Aujourd’hui énormément de jeunes gens ont pris conscience de l’état de la planète. »
Thierry Marx réfléchit de longue date au contenu de nos assiettes: il a créé avec le physico-chimiste Raphaël Haumont le Centre français de l’innovation culinaire au sein de l’Université Paris-Saclay et prône les produits de qualité, issus d’une agriculture raisonnée, en circuit court.
« La quantité d’eau sur cette planète n’augmente pas. Pour inverser la tendance, dans les 10-15 ans à venir il faudra adopter la règle du 80-20: une alimentation à 80% végétale et 20% de protéines animales ». Si le gaspillage « vient d’un défaut de consommation et de formation », il « va se résoudre de lui-même », estime-t-il, car « aujourd’hui les jeunes agriculteurs s’impliquent sur la cohérence des sols, la cohérence des productions agricoles en régions et en terroirs ».
Bientôt aux commandes de la brasserie du premier étage et de la vente à emporter de la Tour Eiffel – dont il a délogé Alain Ducasse en remportant un appel d’offres au côté du groupe Sodexo l’été dernier – Thierry Marx dit vouloir rendre la vénérable Dame de Fer « HQE », c’est-à-dire haute qualité environnementale.
– Tour Eiffel « HQE » –
« Pour fournir les besoins en restauration de la Tour Eiffel, j’ai sourcé 350 hectares en économie bio et sociale », dit-il. « Tout ce que j’ai ouvert à Paris est HQE, je suis capable d’en mesurer l’impact social et environnemental », affirme le chef exécutif du Sur Mesure, le restaurant deux étoiles du palace parisien Mandarin Oriental.
Dix-huit mois de travail ont permis de « sourcer » les « petits artisans » (maraîchers, éleveurs, etc.), situés dans un rayon de 250 kilomètres, futurs fournisseurs de l’emblématique monument qui accueille plus de 6 millions de visiteurs par an.
« Je voulais qu’ils aient cette possibilité. Il faut que la tour prenne et qu’elle redonne. »
Entrepreneur engagé, Thierry Marx a créé des écoles de formation gratuite en cuisine, en boulangerie et dans les métiers du service, et défend avec verve des métiers qui « peuvent conduire à un épanouissement certain ».
Cuisine mode d’emploi(s), son réseau hexagonal de centres de réinsertion et de formation aux métiers de la restauration fondé en 2012, affiche « 95% de retour à l’emploi » pour 1.700 personnes, dont 60 ont créé leur entreprise, alors qu’elles « se croyaient assignées à une précarité ou à un échec ».
Après les vives réactions suscitées dimanche par les propos du président Emmanuel Macron, qui a suggéré à un jeune horticulteur au chômage de se reconvertir dans un secteur de la restauration en pénurie de main-d’œuvre, le chef estime qu’on « ne peut pas proposer un épanouissement professionnel à des personnes, avec un salaire minimum bien trop faible ».
Un commis de cuisine débute avec un salaire de 1.400 euros ce qui « à Paris, Toulouse ou Bordeaux, ne permet pas de se loger, de vivre ».
Il juge « difficile, pour une profession, de défendre l’idée qu’elle manque de personnel » sans reconnaître « un effort collectif à faire là-dessus ».
La principale organisation de l’hôtellerie-restauration, l’Umih, présentera des propositions en faveur de l’emploi et la formation d’ici à novembre.
Celui qui débuta comme Compagnon du Devoir en pâtisserie, avant de passer aux fourneaux de restaurants de renommée internationale – Ledoyen, Taillevent, Robuchon -, ancien juré de l’émission « Top Chef », juge nécessaire de « recalibrer les formations ».
« Il y a 90 recettes de base et 80 gestes de base à retenir. Est-ce qu’il faut trois ans pour ça ? Non. Douze semaines suffisent. Avec ces bases solides, on peut construire sa carrière, avec une montée en compétences en situation ».