La psychonutrition étudie les liens de plus en plus nombreux entre santé mentale et régime alimentaire.
Par Anne PRIGENT / Le Figaro, Paris
PSYCHIATRIE – Guerre en Ukraine, dérèglement climatique, risque d’une nouvelle vague de Covid… L’actualité stressante de la rentrée risque de peser sur le moral des Français et d’aggraver les troubles anxieux et dépressifs. Et si le remède pour lutter contre la morosité se trouvait dans nos assiettes? En effet, on sait aujourd’hui que notre régime alimentaire influence notre santé mentale. Cela a même donné lieu à une discipline à part entière : la psychonutrition. Ainsi, il a été démontré que les régimes riches en aliments transformés, frits, céréales raffinées et sucres sont associés à une augmentation des symptômes dépressifs. «Cette alimentation occidentale perturbe notre microbiote (ces milliards de bactéries et micro-organismes peuplent notre intestin NDLR) et favorise l’inflammation. Cette dernière fait le lit de l’obésité, des maladies cardio-vasculaires, du diabète, des cancers. Mais, ce qu’on sait moins, c’est qu’elle peut également gagner le cerveau et favoriser la dépression », explique le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l’hôpital de la Conception, à Marseille, et auteur de Bien manger pour ne plus déprimer (Odile Jacob).
À l’inverse, certains régimes ont démontré un effet protecteur contre l’anxiété et la dépression. C’est notamment le cas du régime méditerranéen, également efficace contre les maladies cardio-vasculaires. Une analyse d’études menée par une équipe française a ainsi montré une diminution de 33 % du risque de dépression chez des personnes ayant adopté ce régime. L’alimentation méditerranéenne privilégie les légumes et les fruits de saison, les légumineuses, les poissons et les produits laitiers, l’huile d’olive et limite la consommation de viande. « Une étude récente conclut que ce serait la consommation de légumes et de fruits et la suppression des aliments ultratransformés qui soignerait véritablement certaines dépressions », précise le Dr Guillaume Fond. Le psychiatre recommande également des compléments alimentaires à base d’oméga 3 (DHEA et EPA). Les oméga 3 sont des acides gras essentiels indispensables au bon fonctionnement des neurones et à la synthèse de neurotransmetteurs ; ils ont également des propriétés anti-inflammatoires. Or, nous consommons peu d’aliments riches en oméga 3 (poissons gras frais/non surgelés, noix, graines de chia, huiles de colza/olive/lin pressées à froid et correctement conservées…). Résultat : nous en consommons actuellement en moyenne moins du tiers de ce qui est recommandé. « C’est pourquoi, en plus du traitement, je supplémente systématiquement mes patients dépressifs avec des compléments alimentaires à base d’oméga 3 », précise le Dr Guillaume Fond.
Aujourd’hui, des psychiatres n’hésitent plus à faire des recommandations nutritionnelles à leurs patients. «Tout ce qui peut être utile pour la prise en charge des patients doit être mis en œuvre. L’alimentation en fait partie, comme l’activité physique et le sommeil. Sans oublier l’arrêt du tabac et la diminution de la consommation d’alcool », explique le professeur Florian Ferreri, psychiatre à Saint-Antoine et coauteur du Régime antidéprime (Odile Jacob). Des conseils nutritionnels qui s’appliquent à d’autres maladies mentales que la dépression. « Les conseils de bon sens, comme éviter les aliments transformés, trop sucrés, manger des fruits et des légumes… font partie de mes recommandations écrites, notamment chez mes patients atteints de schizophrénie. Pas comme traitement, mais pour lutter contre le syndrome métabolique, une des complications fréquente des traitements », explique le Dr Jasmina Mallet, psychiatre à l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes.
Mais le Dr Fond va plus loin. Il propose, à travers l’étude Alimental, de fournir des données aux pouvoirs publics pour mettre en place des stratégies collectives de réduction de la dépression grâce à l’alimentation. Cette étude a pour but de documenter les liens entre la qualité du régime alimentaire et le risque de dépression. « Ce questionnaire s’adresse aux patients atteints de dépression et à leur famille, qui partagent le même régime alimentaire, aux étudiants, dont l’alimentation est souvent moins équilibrée, aux soignants, mais aussi à l’ensemble de la population générale, en France et dans les pays francophones », décrit le Dr Guillaume Fond. Le déploiement de l’étude à l’étranger est en cours, à commencer par le Canada.
Mais inutile d’attendre les résultats pour modifier nos habitudes alimentaires. « La bonne nouvelle, c’est que la mode d’alimentation qui protège la santé mentale protège aussi la planète : diminuer la viande rouge, supprimer les produits ultra-transformés, augmenter les fruits et les légumes… De plus, adopter un tel régime permet d’avoir le sentiment de pouvoir agir. Ce qui est bon aussi pour le moral », conclut le Dr Guillaume Fond.
A.P.