Crédit photo : Khaled DESOUKI / © AFP
A Nabarouh, au coeur du delta du Nil, on pourrait se croire dans une ville côtière tant les rues parsemées d’échoppes exhalent un puissant fumet: le parfum typique du poisson salé et fermenté que les Egyptiens appellent le fessikh.
La technique est la même depuis le temps des pharaons: ce poisson d’eau douce est d’abord séché puis plongé dans du sel plusieurs semaines avant d’orner la table des Egyptiens qui s’en délectent malgré son odeur qui vous prend au nez.
« Les Egyptiens de l’Antiquité salaient le poisson pour étendre sa durée de conservation, les ouvriers pouvaient ainsi s’en nourrir pendant qu’ils construisaient les pyramides », affirme le très médiatique archéologue Zahi Hawass qui dit avoir retrouvé des traces de ce poisson salé lors de fouilles.
De nos jours, si ce plat –et surtout son odeur– divise, il n’en reste pas moins un incontournable des célébrations de Cham al-Nessim, qui aura lieu lundi cette année.
Cette fête, dont le nom signifie « sentir la brise » en arabe, marque l’arrivée du printemps depuis l’époque pharaonique. Elle est aujourd’hui encore célébrée par les 105 millions d’Egyptiens, qu’ils soient musulmans ou chrétiens.
Lundi, dans toutes les maisons, ils formeront deux camps: ceux qui se plaignent de l’odeur pugnace de ce poisson salé et ceux qui s’en délectent avec du pain et des oignons verts –mais cette fois-ci, pour les musulmans, pas de pique-nique en plein air, il faudra attendre le dîner de rupture du jeûne du ramadan.
Pas d’improvisation
« Nabarouh est la capitale du fessikh en Egypte », s’enorgueillit Chérif al-Yamani, 44 ans et propriétaire du plus renommé des commerces de poisson salé.
M. Yamani affirme descendre d’une des familles qui au début du siècle ont participé à forger la réputation de sa ville pour cette spécialité.
« Pendant les célébrations (de Cham al-Nessim) comme le reste de l’année, on reçoit des clients qui viennent de toute l’Egypte », affirme-t-il à l’AFP tout en servant un client venu du Caire, 150 km plus au Sud.
Karim Abdel Gawad, a lui conduit les 55 km qui séparent sa ville de Gharbia de Nabarouh, « car ici c’est vraiment autre chose » confie-t-il à l’AFP.
« Il n’y a pas de place pour l’improvisation avec le fessikh, il faut s’approvisionner dans un endroit de confiance », conclut-il.
Ce poisson est préparé selon des règles bien précises et tout faux pas –un poisson encore trop humide ou une salaison trop légère– peut rendre ce plat typique porteur du botulisme, une infection alimentaire parfois fatale, comme le rappelle le ministère de la Santé chaque année.
« Tout dépend de la façon dont le poisson est préparé » confirme M. Yamani qui met en garde les potentiels acheteurs contre les marchés à ciel ouvert ou autres vendeurs chez qui la qualité pourrait ne pas être au rendez-vous.
L’odeur du succès
Même si les jeûneurs craignent que la forte teneur en sel du poisson ne les assoiffe le lendemain, M. Yamani affirme avoir cette année reçu des commandes une semaine avant le début du ramadan.
L’amour pour ce poisson séché semble surmonter les craintes de déshydratation et sa boutique ne désemplit pas, même en plein ramadan.
« On n’imaginait pas vendre autant » dans un pays où l’inflation frôle les 34% et où la pauvreté ne cesse de progresser, « mais il semble que les ventes de fessikh n’aient pas été trop affectées » –malgré les sept euros à débourser pour un kilo–, assure M. Yamani.
Le regard aiguisé, prêt à déceler la moindre erreur, M. Yamani supervise ses employés pendant qu’ils empilent le poisson dans de larges tonneaux en bois, sous d’épaisses couches de gros sel, pour permettre bientôt à ses clients d’orner leurs tables de Cham al-Nessim du meilleur fessikh.