Crédit: Hanene-MABROUK HALI / © mangeonsbien.com
Si le peintre expressionniste allemand August Macke (1887-1914) était toujours parmi nous, il aurait sûrement fait de Rania Ben Rhaiem sa muse pour lui brosser son portrait. Lui, qui avait séjourné, en avril 1914, à Saint-Germain (nom colonial de l’actuelle Ezzahra), dans la maison de campagne au bord de mer du couple de médecins bernois, Ernst Jäggi et Rosa Jäggi-Müller, avec les peintres Paul Klee (Allemagne) et Louis Moilliet (Suisse), lors de son mythique « Die Tunisreise » (Voyage en Tunisie) — un important « trip » dans l’histoire de l’art, considéré comme un événement clé dans l’art du XXe siècle, et sujet de nombreuses réflexions et analyses qui voient dans cette échappée belle le dépassement de l’expressionnisme allemand vers l’art non-figuratif, abstrait et moderne, en particulier chez Paul Klee —, aurait sans aucun doute assouvi sa passion pour la bonne chère dans la salle à manger du « Lo Squalo » : un restaurant animé en one woman chaud par (cheffe) Rania, à Ezzhara… depuis 2014 !
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Et avouons-le ! Guidé par son penchant pour les bonnes tables, Macke n’aurait jamais eu tort en immortalisant ce cordon-bleu de Saint-Germain sur l’une de ses toiles ou dans l’une de ses aquarelles. On parle ici d’une belle âme aux doigts d’or qui conçoit la cuisine comme un acte d’amour et de partage.
En effet, dans les cuisines de « Lo Squalo », les cinq éléments d’Aristote — la terre, l’eau, le feu, l’air et la quintessence — sont parfaitement maîtrisés par la maîtresse des lieux, qui a le secret de magnifier les produits halieutiques.
Contre vents et marées, la table de Rania a fini par séduire non seulement les aficionados des fruits de mer, mais aussi le jury des Torchi Food Awards 2024, en remportant, récemment, avec brio le prestigieux prix des meilleures pâtes tunisiennes au mérou frais (une belle tranche de poisson avec chair ferme et nacrée, NDLR): des « penne al dente » enveloppées dans leur robe de sauce rouge bien aillée et relevées par un subtile goût délicatement piquant de harissa fumée (la signature de la Maison).
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Galvanisée par le succès et épaulée par son mari Hassen El Ouni, célèbre maître poissonnier dans la banlieue sud de Tunis et responsable des achats du restaurant voire maître de salle à ses heures perdues, Rania enchante au quotidien les papilles et les pupilles des amoureux de la gastronomie traditionnelle tunisienne et sublime le patrimoine culinaire tunisois avec dextérité et passion : couscous aux calamars farcis, salade de poulpe, tajine aux aubergines, pommes de terre et poivrons farcis à la viande hachée, ojja aux fruits de mer, riz aux fruits de mer, kefta au merlan, doigts de Fatma aux chevrettes, etc… Un large éventail de spécialités locales… et internationales aux accents tunisiens.
Toutefois, le chemin du couple El Ouni fut semé d’embuches et de péripéties que peuvent affronter les TPEs (très petites entreprises) dans une ville-dortoir comme Ezzahra. Criblés de dettes et au bord d’une banqueroute, notamment avec les ravages économiques de la Covid-19 et ses multiples « lockdowns » (périodes de confinement), Rania et Hassen ont su sortir la tête de l’eau et remonter la pente… à la sueur de leurs fronts.
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Aujourd’hui, forte d’une belle équipe au taquet, tel un chef d’orchestre philharmonique à la manoeuvre, Rania dirige acec maestria son écrin culinaire, sans occulter l’aide précieuse des chevilles ouvrières de ce projet familial, en l’occurence son conjoint et partenaire Hassen ainsi que sa fille Roudayna et sa communication proactive sur les réseaux socionumériques.
Pipelette derrière les fourneaux et timide devant le micro, Rania est un personnage de la street food tunisienne qui n’a pas encore dit son dernier mot.