Crédit photo: © La famille El Ghoul – mangeonsbien.com
Il fut un temps où les Tunisiens ne consommaient que du lait cru et frais, un lait brut qui sort directement du pis de la vache, principalement, et qui n’a subi aucun traitement thermique. Crémeux et nourrissant, il se diffère du lait pasteurisé (chauffé à plus de 72 °C) et stérilisé (lait UHT chauffé à plus de 100 °C) dont la production détruit les bactéries présentes et réduit les matières grasses.
Munis de berthes* ou de bidons à lait en fer-blanc/zinc/aluminium (récipients métalliques à anses mobiles en bois, utilisés pour le transport du lait-Ndlr) — appelés sous nos cieux « Kabitasse » (« قابيطاس », en dialecte tunisien) — ou de casseroles en cuivre/inox, chaque matin, nos parents et nos aïeux se ravitaillaient de ce produit crémeux au goût prononcé auprès du « hlaïbi » (« حلايبي »: laitier ambulant, en français).
À Nabeul, qui dit laitier ambulant, dit Khemaïs El Ghoul, alias « Lotfi » avec sa fameuse mobylette Motobécane AV88, plus communément nommée La Bleue.
Né le 16 août 1956 dans le quartier « Lahouech » (« لحواش », en arabe) dans la Cité des Potiers, l’histoire de « Lotfi » avec l’or blanc débuta en 1981 sous le pilotage de son frère aîné El Mouldi El Ghoul.
Les frères El Ghoul achetaient des centaines de litres de le lait cru de la coopérative agricole des terres domaniales « El Roki »-Menzel Temim (« تعاضدية الأراضي الدولية « الرقي »-منزل تميم », en arabe) pour le revendre en détail . Si El Mouldi a fin par jeter l’éponge, son frère cadet Khemaïs a pris le relais.
Armé de patience et de persévérance, le jeune Ghoul a su s’imposer sur le marché et tenir la dragée haute à son principal concurrent, l’expérimenté Mohamed Ayed, alias « Ayadi » — très actif dans les années 60-70 — qui résidait dans le quartier d' »El R’bat » (« الربط », en arabe)
Au fil des ans, El Ghoul a fini par diversifier son offre: « raïeb » (lait caillé), « leben » (petit-lait), et « zebda arbi » (beurre cru baratté) étaient au rendez-vous !
Et petit à petit, avec sa bonne humeur et son énergie, sa mobylette s’est transformée en une véritable crémerie ambulante, damant le pion à ses concurrents.
Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige (comme ce fut le cas lors de l’hiver de 1982-ndlr) de 6:00 à 23:00, 7 jours sur 7, El Ghoul sillonnait Nabeul et gâtait sa clientèle se son lait frais et dérivés.
« Je me souviens qu’en hiver, le jour où il pleuvait des cordes, tout trempé, mon père rentrait deux fois à la maison pour se changer. », souligne sa fille ainée, Olfa. « Nous n’avons pas connu une enfance normale comme tous les enfants du moment que mon père était tout le temps en livraison. Il quittait la maison de bonheur et ne rentrait chez nous que tard dans la nuit. », ajoute-t-elle.
Si l’activité de « Lotfi » a connu son âge d’or dans les années 1980, à partir du milieu des années 1990, la demande pour le lait cru a diminué au profit du lait empaqueté UHT (« upérisation à haute température »).
D’ailleurs avec le succès commercial de la marque « Laino » et la montée en gamme des produits « Délice » et la multiplication des contrôles des services d’hygiène, les laitiers ambulants ont fini par disparaître du paysage pour laisser la place aux fameuses crémeries.
Ce fut le cas de Khemaïs, alias « Lotfi », qui avait déjà préparé le terrain de sa reconversion, en ouvrant une épicerie-crémerie dans près de son domicile dans le quartier « El Kaounia » (« الكونية », en arabe) et dirigée aujourd’hui par son fils Ahmed.
En plus de 30 ans de livraison de lait cru et dérivés sur quatre mobylettes, El Ghoul laisse derrière l’image d’un personnage atypique pour ne pas dire d’une icône de l’histoire contemporaine du quotidien nabeulien.
Merci Si Khemaïs d’avoir bercé mon enfance par ton délicieux lait et ton visage si joyeux !
*Berthe: un mot du dialecte lyonnais du 19e siècle qui désigne un récipient métallique destiné au transport du lait.
C’est notre voisin lotfi el ghoul ❤
el ghoul bien sure il fait partie de mes belles souvenirs d’enfance. merci abdlaziz