Grâce à un ingénieux procédé, certains restaurants polonais ouvrent malgré les restrictions sanitaires.
Par Hélène Bienvenu / Le Figaro, Paris
À Katowice
Il est 20 h 30 à Katowice en cette soirée d’hiver dans la capitale silésienne de 300.000 habitants, et une bonne dizaine de clients patientent encore sur le trottoir face au restaurant BUŁKĘS. Ils ou elles ont entre 18 et 25 ans et sont venus entre amis. Deux étudiantes, Ania et Maryia (prénoms changés), sont les prochaines à passer à table dans ce restaurant qui a rouvert vendredi 15 janvier, malgré les restrictions en place pour freiner le Covid-19.
«C’est fantastique d’avoir quelque part où sortir et de voir des gens, surtout!», avoue Maryia. «Cela nous manquait terriblement: on est en ligne et enfermées toute la journée pour suivre nos cours», continue celle qui a déjà eu le Covid-19 alors qu’elle vivait chez ses parents et n’a pas peur de l’attraper à nouveau.
Un contrat de travail
Une fois entrés à l’intérieur, les clients sont priés de se désinfecter soigneusement les mains, de porter le masque jusqu’à ce qu’ils aient rejoint leur table, de se laisser prendre leur température et de signer une une enquête Covid-19 sur d’éventuels symptômes récents. À cela s’ajoute un autre document que le client doit signer : un contrat de travail de courte durée. Car ce soir, la cinquantaine de personnes présentes est en réalité « testeur »…
L’aspect, la texture, le goût… sont autant de critères évalués par ces collaborateurs d’un soir, enfin, en théorie. Grâce à cet ingénieux procédé, « nos testeurs nous aident officiellement à préparer notre nouveau menu », s’amuse Andrzej (prénom changé), un autre propriétaire de restaurant ouvert à la clientèle à Katowice, la police n’a donc pas le droit de pénétrer dans l’établissement.
« Le gouvernement polonais a appelé son aide financière “bouclier” mais moi je pense que notre bouclier désormais, c’est la Constitution », réplique Andrzej, qui pour sa part, n’a touché que quelques maigres subventions, dont une exemption de cotisations sociales, parfaitement insuffisantes pour se maintenir à flot.
Le verdict du tribunal d’Opole n’est pas encore définitif, mais il est tombé à pic début janvier pour des centaines de restaurateurs, hôteliers, propriétaires de pubs ou de discothèques ou celles et ceux qui vivent des sports d’hiver. Cette décision du tribunal administratif avait annulé une amende de plus de 2 000 € imposée par la police et les autorités sanitaires à un coiffeur. Celui-ci avait été pris ci- seaux à la main lors du passage des autorités sanitaires en plein premier confinement, en avril 2020.
L’état d’urgence n’a jamais été introduit
Le juge polonais a reconnu entre autres arguments que « la privation de liberté et d’activité économique n’est autorisée que par le biais législatif et seulement en cas d’intérêt public important », donnant finalement raison au coiffeur, en se basant sur la Constitution. Il se trouve que la Pologne n’a jamais introduit d’état d’urgence pour lutter contre la pandémie, notamment car elle n’aurait, dans ce cas, pas pu organiser le premier tour de son élection présidentielle fin juin.
« Ce gouvernement nous force à faire ce qui lui passe par la tête. Nous n’avons pas bougé en mars dernier car nous pensions que le gouvernement était sincère, mais, là, nous savons qu’il ne l’est pas», déplore Andrzej. Comme ses collègues, il a perdu la plupart de sa clientèle depuis que le gouvernement polonais a déclaré que les restaurants devraient à nouveau fermer leurs portes le 24 octobre, lors de la deuxième vague.
Le 28 décembre, le gouvernement ordonnait également la fermeture des pistes de ski, des hôtels et des boutiques non-essentielles des galeries et des centres commerciaux. Des mesures prolongées jusqu’au 27 janvier. Non sans efficacité. Au 25 janvier, la Pologne enregistrait son plus faible nombre de nouveaux cas depuis l’automne et 38 nouveaux décès sur une période de 24 heures.
«Le gouvernement ne souhaite pas mettre en place un état d’exception, car ça l’obligerait à payer des dédommagements », soutient de son côté Sylwia Herbut, 31 ans, qui, avec son partenaire, est propriétaire du restaurant Bulkes. En tout, le couple, qui a fait le choix de ne licencier personne, a reçu de la part de l’État de quoi se maintenir en activité sur un mois de pertes pendant le premier confinement.
Depuis, ils n’ont rien reçu car ils ont agrandi leur restaurant en 2020, or la date du chiffre d’affaires de référence pour les autorités polonaises est celui de 2019. Le couple cumule désormais près de 100 000 euros de dettes. « Encore deux mois comme ça, à rien faire, et on aura perdu ce qu’on avait passé notre vie à construire », concluent-ils.