Par Olga NEDBAEVA – Crédit photo: Lionel BONAVENTURE / AFP
« Je ne suis pas encore un grand chef », lance le Japonais Yosuke Suga qui arpente régulièrement son pays à la recherche de produits locaux et de saison pour son restaurant à Tokyo. Les critiques culinaires du monde entier pensent pourtant le contraire.
Sugalabo, un établissement de 20 couverts avec cuisine ouverte où il faut réserver six mois à l’avance, a été consacré lundi soir au ministère français des Affaires étrangères meilleur restaurant au monde lors d’un dîner de La Liste, agrégateur basé en France et conçu à partir d’une compilation de guides et de critiques gastronomique.
Le plat signature? « Ce n’est pas notre but », déclare à l’AFP Yosuke Suga, 43 ans, qui a été formé auprès de Joël Robuchon (1945-2018), le chef français le plus étoilé au monde.
Il se renouvelle tout le temps et n’a rien gardé au menu depuis l’ouverture du restaurant il y a cinq ans. « Je n’ai pas de plat signature donc je ne suis pas encore un grand chef ».
Sugolabo n’est pas répertorié dans le guide Michelin, mais cela ne l’a pas empêché de se hisser au sommet des 1.000 meilleurs restaurants au monde de La Liste, ex aequo avec Guy Savoy à Paris, Le Bernardin à New York et Ryugin à Tokyo, tous trois triplement étoilés.
La maison du luxe français Louis Vuitton a aussi repéré ce chef au parcours exceptionnel en lui confiant le restaurant dans sa boutique à Osaka qui doit être inauguré en février.
– Bras droit de Robuchon à 25 ans –
Fils et petit-fils de cuisiniers, Yosuke Suga part à 18 ans à Lyon pour apprendre le français et commence à travailler à 21 ans avec Joël Robuchon, une collaboration qui durera 17 ans.
Celui-ci n’officie plus aux fourneaux et va lui confier la place de chef pour l’ouverture du premier Atelier Robuchon à Tokyo et ensuite celle de chef des Ateliers de New York et de Taipei.
A 25 ans, il se retrouve à la tête d’une équipe d’une centaine de personnes: cuisiniers, boulangers, pâtissiers…
« L’âge est vraiment important au Japon, ce n’est pas facile de donner des ordres à des gens plus âgés », confie-t-il.
Joël Robuchon « m’a donné cette opportunité, c’était un mystère, tout le monde n’a pas compris. A 25 ans, un jeune garçon a peut-être plus de potentiel par rapport aux grands chefs de 50 ans », analyse-t-il. « Il ne parlait pas beaucoup, n’expliquait pas », se souvient Yosuke Suga qui dit être aussi « dur » que son mentor français décédé en août 2018. L’interaction se faisait au contact des yeux.
Il a appris auprès du chef français comment couper et assaisonner le boeuf pour un tartare ou clarifier le consommé de crustacés, mais surtout « la propreté », l« organisation » des cuisines et l’art de faire en sorte que le client revienne.
– Lotus farcie de foie gras –
En 2014, Yosuke Suga monte Sugalabo pour faire une cuisine « simple et essentielle », mais se rend compte qu’il connaît mieux les produits étrangers que les japonais.
Il décide alors de fermer chaque mois le restaurant 3-4 jours et de voyager avec son équipe pour que tous puissent expliquer aux clients pourquoi on leur sert tel ou tel produit à ce moment précis.
« En achetant au marché, on ne pourra pas le savoir. Si je monte un restaurant en France ou aux Etats-Unis, je ferai la même chose », souligne-t-il.
Il y a trois semaines, il a déniché un lotus à Ishikawa. Il en râpe la racine qui enveloppe une farce de canard sauvage et de foie gras avec du vin de Madère, le tout frit façon beignet.
« La technique est connue, mais si je n’étais pas allé voir le producteur est-ce que je l’utiliserais? Je ne pense pas ».
Même s’il adore « le beurre, le pain et les abats » et utilise le foie gras, la truffe ou les bouillons de volaille à la française pour sublimer sa cuisine, Yosuke Suga estime qu’il est absurde de manger français au Japon où « la culture et le climat » sont si différents.