Par Ella IDE – Crédit photo: Alberto PIZZOLI – © 2019 AFP
Au milieu des vignes toscanes, la plus grande ferme hydroponique d’Europe du Sud veut rendre ses couleurs à la tomate italienne, empoisonnée par des scandales d’infiltrations mafieuses, de pollution, et de main-d’oeuvre exploitée.
Lancée en 2015 par Luigi Galimberti, Sfera Agricola cultive des plants hors-sol sans pesticides, dans des serres écologiques, et laisse les abeilles faire l’essentiel du travail.
La ferme se veut l’une des réponses aux appels angoissés des Nations Unies sur la nécessité de trouver des moyens pour nourrir une population toujours croissante sur une planète à bout de souffle.
M. Galimberti l’assure: sa ferme produit 1 kg de tomate ou de laitue avec seulement deux litres d’eau, contre 75 litres pour les cultures en champ. Et 90% de ces deux litres d’eau proviennent de la collecte d’eau de pluie.
Il s’appuie sur un contrôle biologique, utilisant des organismes naturels pour lutter contre les insectes et les maladies. Et les rares plants qui nécessiteraient un traitement chimique sont mis de côté et leur production détruite.
« Nous utilisons des abeilles pour féconder les fleurs, et nous libérons une série d’insectes prédateurs pour combattre les insectes que nous redoutons », explique à l’AFP M. Galimberti, ajoutant que cela a permis la création de nouvelles ruches, qui ont à leur tour renforcé l’écosystème local.
Installés sur des plates-formes fonctionnant à l’énergie solaire, des ouvriers agricoles vont et viennent entre les plants, soulèvent délicatement les branches supérieures pour les attacher afin d’aider les tomates à mûrir.
Un peu plus loin, des mini-laitues poussant sur des planches de polystyrène flottant sur de vastes bassins miroitent sous le soleil de midi. Sous les planches, leurs longues racines blanches plongent directement dans une solution nutritive et oxygénée.
A l’avenir, la ferme, qui prévoit de multiplier par deux son chiffre d’affaires à 10 millions d’euros cette année (après 5 M eur en 2018), espère élargir sa gamme de production: choux, épinards, courgettes, poivrons, aubergines…
Des investisseurs et des banques ont fourni les 20 millions d’euros nécessaires au lancement de la serre de 13 hectares, qui emploie désormais 230 personnes et produit tout au long de l’année.
– Fini la peau dure –
La renommée des tomates italiennes, en particulier celles en boîte, a souffert ces dernières années, avec la dénonciation des conditions de travail de milliers d’étrangers dans les champs du sud du pays.
Ce sont souvent des Africains logés dans des bidonvilles même s’ils sont pour la plupart en situation régulière, qui se cassent le dos pour une paie de misère à ramasser « l’or rouge », destiné aux rayons des supermarchés à travers le monde.
Les scandales de pollution de certaines régions, comme la Campanie (région autour de Naples), mais aussi d’infiltrations mafieuses de la filière agroalimentaire – un chiffre d’affaires annuel estimé à 24,5 milliards d’euros selon un récent rapport de l’association d’agriculteurs Coldiretti – ont encore assombri le tableau.
Outre des conditions de travail décentes pour ses salariés, Sfera Agricola parie sur un retour de la tomate italienne à sa gloire passée, avec trois variétés que les agriculteurs et les distributeurs ont délaissées.
« Ces dernières 50 années, le marché a rapidement évolué pour des raisons liées à la distribution et au commerce. La peau des tomates s’est épaissie pour qu’elles durent plus longtemps sur les étals, et le fruit ne tombe plus du pied quand il est mûr », explique M. Galimberti.
Grâce à des cubes de laine de roche, un moyen de production hydroponique qui imite le sol et soutient les racines, « le plant est protégé et nous pouvons utiliser des variétés plus anciennes et plus faibles », ajoute-t-il.
« Notre tomate a la peau plus fine, ce qui signifie qu’elle doit être consommée immédiatement », assure-t-il. Mais elle a bien meilleur goût.
M. Galimberti projette de construire 500 hectares de serres hydroponiques dans les dix prochaines années, pour devenir le premier acteur du secteur en Europe.
Mais en Italie même, il reste de solides – quoique tout petits – concurrents, reconnaît-il car « presque tout le monde a quelqu’un dans sa famille qui fait pousser ses tomates, ou alors un voisin ou le petit vieux d’à côté… ».