Par Olga NEDBAEVA – Crédit photo: Lucas BARIOULET – © 2019 AFP
Fruits sublimés au vinaigre, très peu sucrés et pas du tout « instagrammables » : la Française Jessica Préalpato n’a pas osé faire goûter à son père pâtissier ses desserts, qui viennent d’être désignés les meilleurs au monde.
« Il ne comprendrait pas du tout ce que je fais », confie celle qui à 32 ans vient d’être élue « meilleure pâtissière du monde » mardi par le World’s 50 Best Restaurants.
En ce moment à la carte du restaurant trois étoiles Plaza Athénée à Paris, où elle officie depuis 2015 comme cheffe pâtissière: fraises avec des bourgeons de sapin ou « tout rhubarbe » – fermentée, grillée, pochée, rôtie et crue pour un côté croustillant.
On n’aurait pas la réflexe de prendre en photo ces créations visuellement brutes qui dévoilent un goût extrêmement fin et pur.
Ils s’inscrivent dans le concept de « naturalité » (une cuisine au plus près du produit naturel) défendu par le chef Alain Ducasse, qui devient pour Jessica Préalpato la « Desséralité », titre du livre dans lequel elle propose les recettes de 50 desserts créés au Plaza Athénée.
Citron-algues, orge maltée-bière givrée-houblon, topinambour-vanille bourbon-truffe ou cerises-olives-vinaigrette… « On bouscule les gens », dit en riant la pâtissière originaire de Mont-de-Marsan (Sud-Ouest).
– Enlever crème et mousse –
« J’aime beaucoup mettre des vinaigres, des vinaigrettes, tous les styles de cuisson, différentes façons de sublimer le produit ».
Certains confrères la critiquent pour le dressage qu’ils jugent pas assez sophistiqué pour un palace, parfois des clients se disent « déçus », raconte Jessica Préalpato, une des rarissimes femmes cheffes dans un trois étoiles.
Il y quatre ans, Alain Ducasse l’a fait pleurer en refusant de goûter l’un de ses premiers desserts à base de fruits.
« Je vois pourquoi maintenant: j’ai travaillé comme une pâtissière l’aurait fait. Il y avait beaucoup de mousse, de crème, une glace, une tuile. Pour lui, ce n’étaient pas des choses très importantes pour le dessert ».
« J’ai tout enlevé (…) et aujourd’hui j’ai beaucoup de mal à faire des desserts à base de chocolat ou de café parce que ce n’est pas une matière qu’on peut déposer dans l’assiette », poursuit-elle.
Ses desserts sont poussés sur l’amertume et l’acidité, elle utilise le sucre comme le sel en cuisine: pour assaisonner.
« Je comprends les clients qui n’aiment pas », dit-elle.
Blessée au début par des retours négatifs, elle s’y est habituée. Et se dit « étonnée » par son palmarès:
« Jamais je n’aurais parié que ces pâtisseries allaient être mises à l’honneur. C’est énorme pour moi ».
– « Pas beaux » –
« Les desserts ne sont pas forcément très beaux et semblent très simples mais il y a énormément de travail sur la création », explique-t-elle.
Il faut jusqu’à un mois pour élaborer un nouveau dessert et la carte tourne très vite avec les saisons.
« Quand on le prend en photo et qu’on le met sur Instagram, ce n’est pas ce qui ressort (…) Mes pauvres 20.000 followers! », plaisante la pâtissière qui, fait rare pour sa génération, dit ne pas être très attirée par les réseaux sociaux et ne pas « avoir le temps » de « mettre les fonds blancs » pour que les desserts soient mis en valeurs sur les photos.
Elle aime toujours manger les pâtisseries classiques mais ne veut plus en confectionner:
« Je suis venue ici parce que j’en avais marre de faire du chocolat-pistache ou du cerise-amande ».
« Un Saint-Honoré c’est tellement bon, je ne vois pas ce qu’il y a à revisiter. Ici on aime bien perturber le client, et si on arrive au dessert avec un Saint-Honoré ce n’est pas logique ».
Ni son père ni les autres membres de sa famille franco-italienne, cuisiniers et pâtissiers, n’ont goûté ses dernières créations.
« Quand je rentre chez mes parents, ils ne me parlent pas de mon métier, ils ne savent pas vraiment ce qui se passe et ça me va très bien ».
« On aime les repas en famille, ce sont des plats à partager, pas forcément très travaillés. Ils ne comprendrait pas » mes desserts, conclut-elle.
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