Par Eric RANDOLPH – Crédit photo: © AFP – Atta KENARE
Les ouvriers agricoles n’ont qu’une dizaine de jours pour cueillir les corolles à l’origine de l’épice la plus chère du monde: le safran. Avançant dans un champ de fleurs mauves au coeur d’une plaine d’altitude du nord-est de l’Iran, ils les prélèvent avec délicatesse, une à une.
Chacune de ces fleurs de crocus (variété Crocus sativus) ne contient que trois ou quatre stigmates rouges: des filaments de safran, un trésor national.
Car l’Iran produit 90% du safran dans le monde, selon une étude réalisée par l’Institut FranceAgriMer en 2013. Il domine de très loin le marché, suivi par l’Inde, la Grèce, le Maroc, l’Azerbaïdjan, l’Afghanistan et l’Espagne.
A 700 km à l’est de Téhéran, Torbat-é Heydariyeh est la ville star en la matière: elle fournit à elle seule un tiers de la production mondiale de safran, selon l’étude de FranceAgriMer.
Et tout se joue très vite, la floraison du crocus à safran ne durant habituellement qu’une décade en novembre dans cette région aride.
Dans des champs où les plants ne font pas plus de 30 cm, les cueilleurs se courbent et cueillent, avec patience, emplissant leurs seaux de fleurs.
Ensuite, la délicate opération de séparation des stigmates est une affaire presque exclusivement féminine, qu’elle soit réalisée à la maison en vue d’une revente de l' »or rouge » à un des nombreux comptoirs à safran de la région, ou dans une usine.
Sur les marchés locaux, le kilo de safran se négocie autour de 90 millions de rials (plus de 600 euros au taux du jour). Une fois exporté à l’étranger, il peut coûter dix voire vingt fois plus cher.
L’épice est largement utilisée dans la cuisine iranienne, tant en plat que dans les pâtisseries ou les desserts. Mais les filaments rouges d’Iran font aussi le bonheur de gastronomes dans le monde entier, qu’il s’agisse de réussir une paella, un risotto milanais, certains caris indiens ou encore une bouillabaisse, des Lusekatters, petits pains suédois, ou le koulitch, brioche traditionnelle de la Pâque orthodoxe russe.
– « Sans cesse innover » –
Faute de publicité ou de promotion, le safran iranien est pourtant mal connu du grand public à l’étranger, et pour cause: une grande partie de la production nationale est exportée en vrac vers des pays tiers, qui reconditionnent à l’envi.
« Toute la production est faite ici, mais le marketing et les ventes se font ailleurs », déplore Saïd Bastani, député local. « Les gens du monde entier devraient savoir que le safran, quelle que soit sa marque ou le pays où il été acheté, est (généralement) iranien, même si l’emballage dit safran d’Espagne, d’Italie, ou de Suisse… ».
Conscientes du manque de valorisation de leur précieuse épice, les autorités iraniennes travaillent avec les agriculteurs et les entreprises locales pour y remédier.
A 120 km au nord de Torbat-é Heydariyeh, à la périphérie de Machhad – la capitale de la province du Khorassan-é-Razavi, l’usine Novin Saffron exporte chaque année 15 tonnes de safran, une production de première qualité obtenue grâce à des moyens modernes.
Son PDG Ali Chariati veut promouvoir le label « produit en Iran ».
Mais la tâche est ardue car chacun des grands marchés d’exportation a des besoins propres, explique-t-il: l’Espagne, par exemple, veut du safran en poudre pour la paëlla, la Grande-Bretagne des filaments entiers pour la cuisine indienne, la Suède, un conditionnement en petites quantités pour un usage saisonnier…
« Nous devons sans cesse innover et nous adapter pour concurrencer le marketing des autres pays », dit M. Chariati.
D’autres facteurs forcent à innover, comme la sécheresse chronique qui sévit depuis une vingtaine d’années dans les régions arides d’Iran.
– Intérêt chinois –
Le safran n’est pas très gourmand en eau, mais malgré cela, la zone de culture se déplace progressivement vers le nord, « vers des régions plus humides », constate Amin Rezaï, agriculteur à Torbat-é Heydariyeh, conscient qu’après avoir éreinté les réserves en eau de ses terres, il doit investir dans un système d’irrigation plus efficace s’il veut survivre.
« Les gens irriguent leurs cultures de façon traditionnelle, c’est un problème », reconnaît-il.
Irriguer de manière moderne est très faisable mais cela exige une meilleure instruction et un soutien aux villageois, souligne M. Chariati, le PDG de Novin Saffron. On pourrait ainsi plus que doubler la production iranienne de safran, assure-t-il en évoquant le chiffre de 1.000 tonnes annuelles, contre 400 actuellement.
Selon lui, le principal frein à l’innovation, est la réticence des banques à prêter aux petits entrepreneurs. Pour y pallier, sa société a mis en place un programme de « commerce équitable », qui aide les cultivateurs à obtenir des prêts, qui leur fournit aussi des équipements achetés en gros à des prix avantageux et leur enseigne des méthodes agricoles modernes.
« Nous formons au moins 20.000 fermiers », dit M. Chariati, dont la société s’est engagée auprès de 4.000 d’entre eux à leur acheter l’intégralité de leur production.
Autre difficulté pour les producteurs iraniens: l’inflation qui a cours dans le pays.
« Le prix des bulbes, des engrais et de la main-d’œuvre ont triplé cette année, quand le prix (de vente) du safran, lui, n’a fait que doubler », dit Mohamad Jafari, dont la famille vit de la vente de cette épice à Torbat-é Heydariyeh depuis un demi-siècle.
Mais à l’international, le safran iranien tire son épingle du jeu: la faiblesse du rial, la monnaie nationale, favorise les exportations, qui profitent aussi du récent intérêt des Chinois pour l’« or rouge ». Et le safran, contrairement au pétrole, n’est pas visé par les sanctions économiques américaines contre l’Iran.
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