Par Marie-Pierre FEREY – Crédit photo: © Shutterstock
La mode est au « sans gluten » mais la confusion règne entre « vrais » intolérants, allergiques et « hypersensibles », aux contours indécis. Du coup, un vaste programme de recherche « de la plante à l’assiette » est mené en France pour tenter d’y voir plus clair.
« Il y a trois pathologies distinctes », souligne Brigitte Jolivet, présidente de l’Afdiag, une association qui milite depuis 1989 pour faciliter la vie des intolérants au gluten. Les « vrais » intolérants, pour qui il est vital d’exclure le gluten, sont victimes de la maladie cœliaque. Cette affection détruit la paroi de l’intestin grêle et provoque anémie, diarrhées, perte de poids, douleurs osseuses, et même des retards de croissance chez les enfants.
Il n’y a pas de traitement, si ce n’est le régime sans gluten à vie. 1% de la population serait atteinte (soit 670.000 personnes en France) dont seulement 10 à 20% correctement diagnostiquées. Le deuxième groupe concerne les allergiques, beaucoup moins nombreux (0,1 à 0,5% de la population).
Un troisième groupe, les « hypersensibles », pourrait concerner 0,5 à 15% de la population, ce qui est pour le moins « vague », note Mme Jolivet. Ballonnements, fatigue, troubles digestifs sont mis sur le compte du gluten « sans preuve scientifique », selon Mme Jolivet.
Autant la maladie cœliaque répond à un diagnostic clair, sur la base d’une prise de sang (dosage des anticorps IgA) remboursée par la sécurité sociale, et confirmée par une endoscopie du duodénum (haut intestin grêle), autant les « hypersensibles » sont difficiles à cerner.
« On n’est pas sûr que le gluten soit responsable », dit Corinne Bouteloup, gastro-gastroentérologue au CHU de Clermont-Ferrand, qui va mener une étude clinique dans le cadre du projet de recherche GlutN.
– De la plante à l’assiette –
Pour y voir plus clair, ce vaste programme de recherche a été lancé avec l’Institut national de la recherche agronomique, l’Inserm, et le CHU de Clermont-Ferrand notamment.
« On va étudier les choses de la plante à l’assiette », explique Catherine Ravel, qui coordonne le projet.
L’Inra étudie la digestibilité des pains et des pâtes, à partir d’une collection de 16 lignées de blé tendre et de 8 lignées de blé dur.
« L’idée est de proposer aux gens hypersensibles un produit qu’ils toléreraient », dit-elle.
Au CHU de Clermont-Ferrand, Corinne Bouteloup va soumettre une soixantaine de patients (en excluant intolérants et allergiques) à un régime en double aveugle avec ou sans gluten, en contrôlant leur réaction.
« Le but est de trouver des biomarqueurs, parce que pour l’instant les médecins sont plutôt embêtés pour faire un diagnostic, faute d’outils », relève Catherine Grand-Ravel.
Des analyses de sang, d’urine, de selles doivent permettre d’établir les fameux « marqueurs » pour diagnostiquer une sensibilité au gluten.
– Gluten ajouté –
L’étude clinique, financée par l’Agence nationale de la recherche, sera lancée début 2019 avec de premiers résultats en fin d’année.
Selon Corinne Bouteloup, « globalement, on ne mange pas plus de gluten aujourd’hui, parce qu’on mange beaucoup moins de pain, mais la qualité du gluten a changé ».
Le gluten dit « natif » est présent naturellement dans certaines céréales, dont le blé. Mais l’industrie utilise aussi massivement du « gluten vital » pour son pouvoir texturant (volume et élasticité).
« Nos grands-parents mangeaient du vrai pain et pas des pains industriels, des pizzas, des plats préparés, de la charcuterie… Un tas de produits auxquels a été ajouté du gluten », rappelle Corinne Bouteloup. Or, « le gluten vital est très concentré, donc possiblement plus résistant à la digestion ». « Si on arrive à montrer qu’effectivement c’est un problème de qualité du gluten et de son ajout, on pourrait peut-être modifier les pratiques », dit-elle.
En parallèle à ces deux programmes, une enquête épidémiologique tente de mieux connaître les « sans gluten » à partir de l’étude Nutrinet qui interroge des internautes sur le lien nutrition-santé.
« 20.000 réponses à un questionnaire sur le gluten ont été retenues », explique Emmanuelle Kesse-Guyot, directrice de recherche. « On a exclu les gens qui ont une maladie cœliaque, ce qui nous intéresse c’est de savoir si les gens qui excluent le gluten par choix personnel ont des caractéristiques particulières. Que mangent-ils? Pourquoi décident-ils d’exclure le gluten? Par confort abdominal, bien-être physique, ou par croyance (c’est mauvais pour ma santé, pour l’environnement) ? »
– Carences –
« Ce qu’on sait, c’est que les gens qui excluent le gluten excluent aussi d’autres choses, ce qui peut les conduire à des carences », observe-t-elle.
« On se bat avec la diététicienne avec qui je travaille pour faire reprendre aux patients une alimentation la moins restrictive possible. On voit arriver en consultation des gens qui ne savent plus quoi manger à force de restrictions », rapporte Corinne Bouteloup. « Pour en avoir vu beaucoup, je pense qu’une grosse majorité des gens qui disent qu’ils vont mieux quand ils enlèvent le gluten, en fait vont mieux parce qu’ils enlèvent les fructanes qui sont aussi dans les céréales contenant du gluten. »
Les fructanes font partie des « Fodmaps », un autre « suspect » qui émerge fortement. Cet acronyme anglais désigne certains glucides.
« On trouve les Fodmaps à l’état naturel dans beaucoup d’aliments, dans les céréales ce sont les fructanes, dans beaucoup de fruits et légumes ce sont le fructose, les polyols, des sucres qui ne sont pas digérés et qui fermentent dans le colon », explique Corinne Bouteloup.
Sur la base d’une dizaine d’années d’expérience, elle soupçonne que « justement, ceux qui enlèvent beaucoup de choses sont souvent des gens non pas sensibles au gluten mais intolérants aux Fodmaps ». « C’est mon ressenti clinique », constate-t-elle, « mais je n’ai pas encore eu les moyens de lancer une étude là-dessus. Il faut du temps, des petites mains, de l’argent… »
Les ventes de produits d’épicerie « sans gluten » ont progressé de 12% l’an dernier, dans un vaste ensemble d’aliments « santé » qui a dépassé 6 milliards d’euros en grandes surfaces alimentaires en 2017, selon une étude de Xerfi.