Par Carola SOLÉ / Crédit photo: Edu Simões – Observer Food Monthly, 2013
Chef le plus renommé du Brésil, Alex Atala (d’origine libanaise-Ndlr) a été formé à l’école française mais milite depuis toujours pour que la gastronomie de son pays puise davantage son inspiration dans les richesses de la forêt amazonienne.
« La nourriture nous est donnée par la nature, c’est un cadeau de la vie », a affirmé le Brésilien barbu et tatoué de 49 ans dans un entretien à l’AFP en marge d’une conférence réunissant divers spécialistes sur le thème « Alternatives pour alimenter le monde ».
Cet ancien DJ estime que le Brésil, gros exportateur de matières premières, doit dépasser son rôle de « grenier du monde » pour mieux préserver son patrimoine culinaire issu de cultures traditionnelles.
Après avoir fait ses classes auprès Jean-Pierre Bruneau et Bernard Loiseau en France, Alex Atala a ouvert en 1999 son restaurant D.O.M., à Sao Paulo, capitale économique du Brésil.
Des plats emblématiques comme le fettucini de coeur de palmier et l’ananas aux fourmis lui ont permis de figurer à la 16e place de la liste des 50 meilleurs restaurants au monde du magazine britannique Restaurant, qui décrit ce chef comme « une rock star », ayant « placé la gastronomie brésilienne sur la carte du monde ».
« Ici, au Brésil, on peut trouver de tout, de la production à très grande échelle aux méthodes les plus artisanales et primitives », dit-il.
Mais c’est justement la richesse des cultures ancestrales qui reste selon lui largement inexploitée sur le plan culinaire.
« Je parle toujours du manque de connexion entre l’homme et l’aliment », regrette le chef.« Ça ne me dérange pas que 90% des Brésiliens n’aient jamais goûté de fruits amazoniens comme le cupuaçu ou le bacuri. Ce qui me rend fou, c’est de savoir que beaucoup de gens ne savent pas à quoi ressemble un oranger ».
Selon lui, la population devrait prendre exemple sur les Indiens d’Amazonie, qui vivent en harmonie avec la nature.
« Les gens n’apprennent à respecter la valeur de la nourriture que quand ils sont dans la misère », constate Alex Atala. « Malheureusement, dans notre société, on nous apprend à adorer l’argent, à souffrir pour l’argent. On ne jetterait jamais un centime à la poubelle, mais pourquoi on jette autant de nourriture? »
– Fan du manioc –
Le chef s’inquiète également de la déforestation qui menace la biodiversité du Brésil, les territoires indiens étant de plus en plus grignotés par les compagnies minières, l’industrie du bois et l’agro-business.
« Au-delà de l’Amazonie, ce sont les nouvelles générations qui sont en danger. Elles risquent de ne pas connaître la beauté, les saveurs dont nous disposons aujourd’hui », estime-t-il. « Le monde d’aujourd’hui mange pratiquement la même chose, c’est triste. On est en train de perdre des trésors de saveurs, de culture ».
Alex Atala rappelle que les richesses naturelles d’Amérique Latine ont fortement contribué à l’alimentation d’aujourd’hui: le maïs, les pommes de terre et le chocolat en sont originaires.
Mais contrairement au Mexique et au Perou, le Brésil est loin d’être parvenu à tirer son épingle du jeu en termes d’image pour ce qui est de sa gastronomie.
« Si je dis tomate, mozzarella et basilic, on pense à l’Italie. Coriandre, citron vert et oignon, c’est le Pérou. C’est comme ça qu’on voyage autour du monde à travers les saveurs. Le Brésil n’a toujours pas retenu cette leçon. Nous sommes fiers d’être un gros producteur de matières premières, mais pas de notre propre culture », assène le chef.
Quand on lui demande de citer l’ingrédient emblématique de son pays, il n’hésite pas une seconde:
« Le manioc, le manioc, le manioc! C’est un des ingrédients les plus fascinants dont nous disposons. Il peut même permettre de réduire la consommation de blé, qui cause tant d’allergies », affirme-t-il, en allusion aux personnes allergiques au gluten.
Le chef Alex Atala s’est donné une mission:
« préparer des mets délicieux en mettant en valeur des ingrédients sous-estimés ».
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